jeudi 31 janvier 2013

Boulevard des poilus

Chère I.

Lettre 9

«Le Bonheur est dans l'oeil de celui qui regarde»

Gandhi,

Affiché sous l'auvent du Chat Rêveur, Aix, Place de l'hôtel de Ville (regarde bien)

«Et dans celui qui tend son oreille pour écouter la guitare rose de Paul,
  Et dans celui qui touche le creux des reins d'Helena,
  Et dans celui qui goûte la peau sucrée des femmes,
  Et dans celui qui sent l'odeur musqué de l'amour,
  Et dans celui qui voit qu'on ne le regarde pas...»

La Cigale, Aix, 2013




Entre Paul et Helena, tout feu tout flamme, les chats ont toujours été une source inspirée de dissensions.  Aucun rêve à l'horizon. Quand Paul a fait entré le chien dans la maisonnée,  le chat, de mauvais poil, s'est dressé les poils de la tête et Helena a rebroussé-poil, avec ladite bête sous les bras.
Des poils pourtant, Paul en a bien quelques uns aux bons endroits.  Sur le devant de ses deux avants-bras.  Et Helena aimait tendrement y emmêler ses doigts.  Du poil de Paul, Helena disait en être folle.

Son poilu courageux et viril susurrait-elle très doucement.

-Miaouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuumiaouu!

Le chien quant à lui adorait le chat.  Il le cherchait dans tous les recoins de la maison à tous les matins au réveil. Le poursuivait d'ardeur et de jeux.  Tentait la prise de l'ours en début d'après-midi en rêvant de la cuillère au coucher.  Quand Helena a quitté Paul avec son poilu c'est le chien qui lui a fait la gueule à son tour, haleine de crapaud en sus.
Paul ne l'a pas embrassé. Malgré ses os-simili-brosse-à-dents-colgate-blanchissant-anti-bactériens.  Et  il est resté un chien.

Paul se sent seul.  Malgré ses cinq sens.  Malgré sa tendresse.   Helena l'a quitté.  Le chien est en pension.  Son fils est en rébellion. Il n'y a aucune éloge dans la fuite.  Il est seul à Aix.

Devant ce vide nouveau façon Francis Bacon, Paul s'attarde aux détails.

Dans sa tête, le détail de sa paume, petite mais chaude, glissant dans le creux très précis d'Helena se fardant aux miroirs.  Là, par derrière elle, précisément où la taille débute, sous les dernières côtes flottantes et juste au dessus de l'os de la hanche.  Ce petit creux en creux.  Un creux à droite, un creux à gauche.  Deux creux pour deux paumes.  Et le visage d'Helena qui se retourne, illuminé par la caresse.  Et sa bouche volée pour un véritable baiser.  Et tout le reste qui suivra....

Et le détail en coin de cette peinture dans la salle de bain où le canevas craquelé diffuse sa tendresse.


Et l'étrange et émouvante substance d'un simple drapé de rideau de douche aux contours sépia et bleu, oiseaux, forêt.



Et la magie organique de la lumière de cirque plantée au mur comme une étoile de ciel.



 Et le rêve des petits garçons qui veulent sauver le monde.



Et la beauté soufflante de Cassis le 30 janvier 2013, 17 heures et 13 minutes sous la paume de Dieu ou de quelqu'un que Paul ne connait pas à l'éclairage.



La solitude de Paul et son désarroi se décline en :

Entendre

Toucher

Goûter

Sentir

Voir

Se décline en camaïeu de tendresses de tout poil!

Est-ce que le bonheur se repose  dans les cinq sens?

Est-ce que le détail est la forme aigüe du bonheur?

Quel sens préfères-tu?

La Cigale

ps:  En parlant de détail, Paul a vu au Renoir la Première du dernier film de Jaoui-Bacri!
      Jouissif dit-il

































lundi 28 janvier 2013

Des mimosas en janvier

Chère I.

Lettre 8



«Une arlésienne (personnage invisible ou personnage fantôme) est un type de personnage de fiction qui est décrit ou mentionné, mais qui n'apparaît pas en chair et en os. Ce terme est issu de la nouvelle d'Alphonse Daudet  L'Arlésienne, ou plus précisément de la pièce de théâtre homonyme qui en fut tirée.
N.T. dans l'ouvrage Dictionnaire Des Personnages Du Cinéma « Seront désignés sous ce nom les personnages décisifs d'une intrigue qui, pour une raison ou une autre, n'apparaissent pas à l'écran ». Si cette notion existe également dans les autres langues, elle porte évidemment un autre nom, sans rapport avec Arles ou Daudet»

Wikipédia 2013




Les  voisins du haut sont les D.   Ce sont de très snob et riches british à la retraite.  Leur chien quant à lui s'appelle Samy et est un King-Charles, la race des chiens du prince Charles.  Mme L., la femme de maison de Paul, est une extrêmiste de gauche tendance post-communiste.  Elle n'aime pas trop François Hollande.  Elle dira qu'il est trop mou-centre-pas-assez-social-entre-les-deux.
La politique, c'est compliqué , mais plus encore pour Mme L. qui ressemble à s'y méprendre à la Mme Ginoux au café de la Gare Arles de Paul Gaugin, 1888, l'ami de l'autre qui s'est coupé l'oreille mais s'est loupé les carotides.
Pour une femme paraît-il.



Mme L. s'occupe également de la maison de Mme et Monsieur D.  Elle laisse sans doute traîner quelques poisons lents pour ses patrons aristos, éparpillés entre le thé vert made in Harrods de Madame, le whisky du soir de Monsieur ou dans l'écuelle vert pomme du clébard. 

Les D. partant un week-end sur Paris, Mme L.  garde le chien.  Paul pour une raison qu'il ignore a fini, chien en laisse, par promener Samy Dog de supérettes en boulangeries en marchés de fleurs en mimosas de janvier.
Ce chien,  en grand habitué du Grillon, Le Café sur le Mirabeau où les D. vont prendre l'apéro avec lui tous les soirs à 18:30m, ne peut passer devant sans s'arrêter, buté, ne plus bouger, faire le mort.  Toutes tactiques griffes dehors seront alors utilisées.


Paul n'a eu guère le choix d'y prendre le rosé en terrasse de soleil avec son fantasme de reconquérir Helena vers les 13 heures, avant le déjeuner.


Samy est horriblement plus sage, plus aimant, plus affectueux que le chien de Paul, laissé chez A-A pendant quelques mois.  Paul n'y comprend rien.  À son chien il a tout donné.  Le meilleur de sa patience, de sa sollicitude, de son entêtement, de sa présence.  À son chien, Paul s'est donné tout entier.  Authentique. Parce que pour lui, il avait l'âme à la tendresse. Ce tendre tendre doux que provoquent automatiquement les petits yeux malicieux de son chien.

Paul parti traîner son spleen en goguette à Arles un monotone dimanche de janvier, sous le ciel un peu trop grisonnant et froid d'une Provence pas toujours au top, s'est retrouvé devant tous les commerces fermés, l' âme esseulée et vraiment en peine.  De Van Gogh alors il partagera quelque chose.


Des tons de gris encore à voir,
Quelques gloussements de pigeons à entendre,
Des relents d'urine de chiens à sentir,
Du marbre froid sous les fesses à toucher,
Des frites trop grasses à goûter

Et, tout à coup, l'ÉBLOUISSEMENT des Arlésiennes!

-LES ARLÉSIENNES-

En voir une en coin, toute seule, venant de nulle part,


Entendre les cloches sonnées à tout rompre et sentir le vent tourner pour toucher au bonheur de goûter les Arlésiennes,









Comme Paul aurait aimé partager le bonheur des Arlésiennes avec Helena qui doit être enlacée dans les bras de G. très exactement au moment où il est devant ce spectacle.   Comme Paul aurait aimé devant cette belle femme élégante et fière, qui a inspiré les délires coutures de Christian Lacroix, les opéras de Bizet, les cartes de Léo Lelée, cette Belle Arlésienne aux pieds nus, embrasser Helena et lui dire à l'oreille qu'elle est la plus belle des belles Arlésiennes qui habitent son coeur à toujours à jamais à plus faim à plus soif....

Comment peux-t-on avoir vécu 20 ans avec une femme et qu'elle devienne,

-pffffffffffffffff-

en un seul coup, en une seule minute, en une seule saison,
un fantôme?

Un personnage qui n'apparaît plus ni en chair ni en os?

Paul se retourne vers Samy.  Il est sage comme une image.  Il ne jappe pas.  Il ne tire pas sur sa laisse.  Il ne court pas après tous les chiens de la rue.  Il n'est pas son chien abandonné qui ne l'aime pas.  Il est l'autre.  En mieux.  En plus fin.

Mais on dit souvent qu'il ne faut pas faire de comparaison.

Alors Paul n'en fera pas...



La Cigale




ps: Est-ce que tu as vu toutes les cigales au plafond du Grillon, intérieur jour?

pps: Est-e que tu as vu combien l'Arlésienne en coin ressemble à La Cigale?







jeudi 24 janvier 2013

J'habite chez mon chien (en psychanalyse)

Chère I.

Lettre 7

«Enfin un nouveau regard sur un pays que personne ne semble comprendre…
Les Français fument, boivent et ingèrent plus de gras que n’importe qui au monde, et pourtant, ils vivent plus longtemps et ont moins de problèmes cardiaques que les Américains. Ils prennent plus de sept semaines de congés payés par an et pourtant, ils ont le taux de productivité le plus élevé. De loin, la France moderne est une énigme. Mais si on y regarde de plus près, tout s’explique. Sixty Million French Can’t Be Wrong montre comment les pièces du puzzle s’emboîtent les unes dans les autres.
Décryptant les idées des Français sur des sujets tels que la terre, la nourriture, la vie privée et la langue, les auteurs décrivent la société française, de la centralisation et du code Napoléon jusqu’à la formation de l’élite, et même jusqu’aux manifestations, et nous offrent par la même occasion et pour la première fois, une peinture claire de la France et des Français.»
 
Sixty million Frenchman can't be wrong, Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow

«Lait demi-écrémé;
 On a gardé la meilleure moitié
 Où est la demie-vache»

Monoprix

«Pâte à tartiner NOISETTES;
 Si seulement les écureuils savaient lire»

Monoprix












Paul se trouve nul.  Nul d'être à l'aube de la cinquantaine dans ce marasme affectif.  Nul de se lever tous les matins sans sommeil, une tronche de dégénéré dans le miroir.  Nul de ne pas avoir su retenir Helena.  Nul de ne plus savoir qui il est.  Nul de se demander c'est quoi ce foutu Bonheur à la carte qu'il ne comprend plus.  Nul de ne peut-être l'avoir jamais compris.
Plus nul encore de tomber dans le classique des classiques de l'homme de cinquante ans en crise existentielle, en crise de nerfs, en homme sur le bord de la crise de nerfs.  C'est Pedro Almodovar qui serait fier de lui.
Nul de devoir partir au travail, après l'ingurgitation massive de cafés forts, de cigarettes à demi-consommées, de pensées positives de tout ordre, de citations littéraires de tout acabit, d'animateurs-radio de tout genre et de fantasmes, tout éros,  pour faire face à TOUS ses patients.

-Bonjour Docteur, comment allez-vous ce matin?

-Bonjour Docteur, êtes-vous certain d'aller bien, votre teint s'approche dangereusement du vert, vos yeux sont excentriquement exorbités, et votre bave coule le long de votre mâchoire, non?

-Bonjour Mme Loubelle, TOUT va bien pour moi et vous?

-Bonjour Mme Davis, Bonjour, bonjour, bonjouuuuuuuurrrrr!!!!!!

-Bonjour Docteur, je suis en dépression et je vous EMMERDEEEEEEE!!!!!!!!

Comment mentir si éhontément devant ceux qui vous livrent toute leur essence à la vanille, leur essence de chocolat et de levain.  Un goût de fraise par-ci, un goût d'arsenic par-là, un goût d'outre-tombe par-ci par-là!

Paul se trouve d'autant plus nul que devant son lait demi-écrémé et sa tartine de chocolat picorée du bout des lèvres, l'oeil droit à moitié-ouvert, l'oeil gauche à demi-fermé, devant les ébauches d'un petit-déjeuner, les foutus Français, ces sixty million Frenchmen can't be wrong, trouvent même au petit matin la façon d'être irrésistibles, craquants, nerveux et vifs, le bon mot à la bonne bouche plutôt que la bave coulante, l'ironie mordante, le marivaudage juste comme il faut, à la bonne place, au bon moment.
Comme Paul se trouve nul devant ces Français élégants, une écharpe toujours nouée au bon endroit et cet air de vous dire que vous n'êtes qu'un dérivé de quelque chose ou de quelqu'un, sans grand intérêt autre que celui de pouvoir potentiellement les admirer!



 
Paul se trouve nul parce que de l'ironie et des boutades, il ne sait pas en faire.  Paul se trouve nul parce qu'avec une écharpe au cou, moirée ou mâte, il ressemble à un papy qui ne fait aucune résistance.  Paul se trouve nul parce que G., encore si jeune, porte l'écharpe avec l'élégance d'un grand seigneur et que de l'humour percutant, il en déborde.  G. a la langue bien pendue et bien française.  G. mange trois baguettes par jour et n'a pas l'once d'un ventre à l'horizon.  G. semble demeurer le King incontesté du Baiser fait French Kiss!

Paul se trouve nul parce qu'il a rejoint son collègue universitaire en Droit des personnes à la Cité des Lettres d'Aix.  S'est jointe au déjeuner A., sa collègue à lui.

-Ahhhhhhhhhhhhhhhhhhhh..........

A. est éblouissante.  Paul s'est tout de suite demandé si elle était la maîtresse de son collègue, bien marié depuis trois décennies, quatre enfants et aucune dérive catho de droite pourtant.  A. a la cinquantaine merveilleuse.  Ces femmes qui, pour une raison qu'il ne comprend pas, trouve le moyen de demeurer mince.  A. est d'une élégance a faire fondre le coeur de n'importe qui, de n'importe quoi.  Elle a une beauté en douceur, des yeux très tendres, un sourire toujours avenant.  Elles est un reine bonne.  Sa beauté est peu commune, difficile à décrire.  Cette ancienne blonde aux cheveux entremêlés de gris est la quintessence de la femme épanouie et heureuse, mais sachant montrer avec élégance ses brèches, ses lâchetés, ses erreurs, ses manquements.
Paul devine sous le tailleur rouille et le collier de perles blanches, son corps de femme.  Il est ému par le corps des femmes de cinquante ans.  Parce que ces corps ont vieilli, ont mûri, ont des espaces de mélancolies et de désirs que n'ont pas les jeunes femmes.  Ces jeunes femmes trop sûres de leur pouvoir.  Paul aime les femmes qui doutent.
Il se rappelle avec émotion cette scène de Tilda Swinton se déshabillant devant son jeune amant dans le film Io Sono l'Amore.  Cette pêche un peu fânée filmée dans une lumière orangée et l'incroyable sensualité de ce corps amoureux.

Paul imagine déshabiller A. très lentement.

Est-ce que le fantasme de Paul pour A. signe son désamour d'Helena?

Qu'est-ce que tromper l'amour?

Est-ce qu'Helena le trompe davantage avec G.?

Paul se sent perdu devant la beauté de A.  Dans sa maison, les jouets du chien, le lit du chien, les os du chien prennent toute la place.

Paul se dit qu'il est grand temps d'aller en psychanalyse, avec ou sans son chien!





La Cigale

ps: Est-ce que tu crois que A. a senti le désir de Paul?



















mercredi 23 janvier 2013

Ma Femme s'appelle Retour

Chère I.

Lettre 6

«Tout se résume à ceci: avoir des sensations et lire la nature.»

Paul Cézanne

«Te voilà maintenant qui t'enfuis
  Tirant ta révérence
  La forêt de nouveau frémit
  Et je profite du silence»

Mathieu Lescop, textes et musique, LA FÔRET, 2012





Paul s'est à nouveau invité à dîner ce soir.  Nous avons sorti D. et moi l'ensemble de nos douceurs.  Un petit fumet de poisson en nage provençale, une fondue de tomates et sauce de pistou, un navarin printanier même si c'est l'hiver et que les moutons ne nous offrent pas leurs épaules pour nous endormir dans le grand soir clair.
Et de toute façon dormir pour Paul, cela semble plus que compliqué.  Une terre à conquérir. Il a convié ses troupes de moutons au grand complet.  Mais ce ne sont que ces grossières mules noires qui se sont pointées le bout du bec.  Glapissant comme des poules.
Une véritable ménagerie de verres...

clinggggggggggggggg.......

J'ai bien peur que Paul s'immisce.  Sans faire tellement de bruit.  Sans faire tellement attention.    Seulement parce que sa vie adore les erreurs, l'inconscient, l'imperfection, l'inquiétude, surtout pas la maîtrise. 
Et que de la maîtrise moi, je ne sais rien en faire non plus,  sinon de la bouillabaisse bonne pour tous ces ânes de notre parfois trop souffrante terre en friche, en miettes, en plexus désolidaires.

Paul s'est levé un matin, l'angoisse tiraillant son ventre et derrière la lourde chute des rideaux de sa chambre à coucher, il a vu la lueur très discrète de l'aube.  Les pétales vertes foncées de l'imprimé ondulaient.  La lumière malgré la peur était si belle.  Retenue.  En promesse.



Sa chambre à coucher est le parfait décor des possibles.  La forêt des silences.  Le lieu de la lumière et de l'espace.  Et de l'espace, il en avait bien besoin.  De l'espace pour son coeur.  Et aussi de l'exercice.  Ses muscles criaient famine.  Les grand-droits, les inter-costaux, les striés et les lisses, tous se mettaient de son côté pour le sortir du lit.

Peut-être Cézanne avait-il raison?

Peut-être «...l'univers n'était-il qu'une même coulée, un fleuve aérien de reflets dansants autour des idées de l'homme...»?

Paul avait décidé, que, bien qu'il ne pouvait pas se battre sur le même terrain que celui de G., il allait tenter de reconquérir Helena.  Coûte que coûte.  Cela passerait sans doute par le corps.  Son corps à elle.  Son corps à lui,  ce corps-à-corps des amoureux transis, des amoureux dépassés, des amoureux en transit.

Paul ne pouvait pas être docteur pour rien.  Pour faire plaisir à sa maman (charmante par ailleurs dans ses 85 ans pétillants).  Pour se conformer à son rang, à sa classe sociale.  Pour procéder au pouvoir du monde.  Pour accéder aux parvenus, aux bons revenus, aux bien repus.  Paul devait être un docteur pour autre chose.

Pour pouvoir offrir à Helena les étranges prismes convexes ou concaves, en ombre ou en lumière que sont ces immenses façades blanches, ou rouges, ou grises, ou ocres, ou vertes, ou jaunes ou infinies du Mont de la Sainte-Vicoire.



Pour pouvoir offrir à Helena un âne, sans vierge Marie, un petit âne têtu comme une mule sur les chemins des sommets.



Pour pouvoir offrir à Helena un bouquet d'anémones de toutes les couleurs, en l'embrassant sur la commissure de sa bouche tendre, au café sous le soleil trempé de janvier.  Il y aurait presque des fraises en janvier.  Et elle aurait une traînée de coulis fruités sous la lèvre dodue et inférieure de sa belle bouche de fraise et de janvier et il l'embrasserait tout en sucré, une fois, deux fois, mille fois, sur sa bouche il retournerait.


Pour pouvoir offrir à Helena, sa belle femme fontaine,  une fontaine d'argent dans le soir de la rue de la mule noire.



Pour que sa femme s'appelle à nouveau Retour!


La Cigale


PS.  L'âne c'était pour N. et R.


PPS.  Crois-tu vraiment  qu'Helena va lui revenir?

  


dimanche 20 janvier 2013

Ton Cadavre est Exquis

Chère I.

Lettre 5

«On fait tous l'éloge du rêve qui est la compensation de la vie.  Mais c'est le contraire docteur.  Vivre est nécessaire pour se reposer de ses rêves»

Venévos de Deus, remédios do diabo , Mia Couto, 2012

«La lumière et l'ombre sont un rapport de couleurs, les deux accidents principaux diffèrent non par leur intensité générale, mais par leur sonorité propre.  L'ombre est une couleur comme la lumière, mais elle est moins brillante; lumière et ombre ne sont qu'un rapport de deux tons»

Paul Cézanne









Paul aimait sans mesure son chien qui, en retour, ne l'aimait pas.

C'est pourquoi Helena l'avait quitté pour G.  de quinze ans son cadet.  G. était beau, une petite gueule de young american, yeux bleus glacés, barbe courte, cheveux très châtains.  Ce cheveux épais, frisé, long, en tignasse d'homme des brousses, d'homme vrai de bois vrai.   Ce cheveux qu'il avait perdu au long des années auprès d' Helena.  Ce cheveux perdu qui le laissait  nu comme un ver.  Décalé.

Le corps de G. était une merveille.  De muscles.  De force.  De minceur.  Des paumes comme des troncs d'arbre, des cuisses découpées en ciseaux pour des étreintes très biologiques, un ventre à convexité interne et une pectorale de grande baleine bleue.
Bien que Paul ne connaissait rien de l'odeur de G.  il est certain qu'il se serait lui même quitté pour lui.  Il comprenait trop bien Helena.  Ce qui, au final, ne l'avançait pas à grand chose.

Parce que Paul aimait toujours Helena.

Est-ce que tout n'est toujours qu'une histoire d'amour?

Est-ce que nos rêves ne sont construits que par l'amour?

Est-ce que Paul sait vraiment ce qu'est l'amour?

Est-ce que l'amour est l'ombre ou la lumière de nos rêves?

Tout juste arrivé à Aix, il avait compris que le corps d'Helena le poursuivrait .  Il avait ouvert la porte de la chambre de bain.  Il s'était tranquillement dévêtu devant le grand miroir rectangulaire aux contours biseautés.  Il avait voulu se départir de sa barbe de quatre jours qui lui faisait une gueule de Wallander.  Une gueule de déterré-vivant.  Une gueule de mauvais jours, de mauvaises nuits.

Dans la lumière voilé et pas trop nette de cette salle de bain, il les avait pourtant bien vu ses biceps à lui.  Il avait bien vu que du jogging, il n'en faisait pas.  Qu'il n'en ferait pas non plus.  Même pas au parc de la Torse, tout voisin de son appartement.
Le torse de G. était un miracle.  Le sien sentait déjà la mort qui approchait.  Les cigarettes qu'il avait trop fumées.  Les vins de toutes les couleurs qui avaient coulés, la plupart du temps avec une incroyable tendresse, roulant de ses lèvres minces, à son pharynx en feu.  Glissant sans obstacle dans son oesophage,  se déposant en liquide des Dieux dans la poche de son estomac abîmé, acidulé.  Se broyant dans les sucs de son anse gastrique.  Libérant doucement cet étrange poison des Fous.

Paul l'avait bien vu son corps à lui.  Cette peau qui s'assaille toute seule.  Les cernes hortensias sous ses yeux de biche aux longs cils.  De longs cils de femme sur son visage d'homme ravageant sa colère et sa douleur.   Puis il avait vu dans le champ sans fleur et périphérique de son oeil droit, les reproductions de Cézanne.





Cézanne à Aix
Cézanne à la plage
Les genoux de Cézanne
L'Atelier de Cézanne
Les chemins de Cézanne

Cézanne est un âne.  Point à la ligne.  De Cézanne, Paul n'aimait rien.  Ni la couleur.  Ni la composition.  Ni sa femme.  Ni son fils unique.  Paul.

Le fils unique de ce Paul s'appelait Paul.

Et le fils unique de Paul s'appelle Paul.

Puis il avait vu dans le champ sans fleur et périphérique de son oeil gauche le corps d'Helena.  Sa femme à barbe.  Sa blonde aux grains de Renoir.  Cette montagne sans Cézanne.  Ce vallon de sa chaire aimée.  Le ventre de sa femme.  De la mère de Paul.  De la femme de Paul.  Son Helena qui étatait devenue la Helena d'un autre.  La Helena de G.

Mais qui était vraiment Helena?




Paul s'est demandé si il avait une vie qui au final lui ressemblait.  Une vie en ruptures.  Une vie où sa femme partait avec G.  Une vie où son fils unique ne l'aimait pas.  Tout comme son chien ne l'aimait pas.
Ou peut-être était-ce les événements qui avaient façonné sa vie. Qui avait fait en sorte qu'il devienne ce qu'il était.


Paul ne se trouvait rien d'exquis.  Ni dans son corps.  Ni dans sa tête.  Ni dans son coeur.

-Bah!  T'inquiète Paul, ton cadavre sans doute sera exquis-



La Cigale


jeudi 17 janvier 2013

Gin Tonic

Chère I.

lettre 4




J'ai toujours voulu écrire comme Jean-Paul Dubois.  Rêvé d'avoir la force de frappe épistolaire de Woody Allen.  Maîtriser l'écriture efficace et ironique des téléséries américaines.  Rêvé de créer un maelstrom de tons, décliné en Duras, en Beauvoir, en Echenoz, en Moravia, en Beigbedder.  J'ai toujours rêvé d'écrire comme je ne sais pas écrire.
Savoir tout résumer dès la première phrase.
Un sujet.
Un verbe.
Quelque chose comme un complément.

Il neige sur cette foutue Provence et je ne m'emmerde pas.  Mon pays c'est peut-être l'hiver mais me geler les couilles que je n'ai pas dans la garrigue blanche, bingo, ça me fait une belle jambe.



Et des cigales, pas le moindre écho. Écho. Échooooooooooooooooooooooooooooooooo.........

Et je ne m'emmerde pas et je ne veux pas me fuir, aller ailleurs voir si j'y suis, me saouler aux daiquiri à 11:11 du matin, comme Hemingway,  sur la terrasse de n'importe quel café de la place  Richelme, à celle des Prêcheurs, à celle de l'Hôtel de ville.
Je ne déteste pas les sabbatiques.  Un truc de débile.  Une lubie de bourgeois en mal d'éros.  Une illusion de l'humanité bien-pensante, bien-repue, bien-sonnante, bien en chaire, bien bourrée.
Je ne déteste pas les chroniques de voyage, ces lieux communs de bonnes intentions et de bonheurs décalés.
Je ne déteste pas les guides de voyage, les lonely planets de la terre, les let's go où tu veux.




Je ne déteste pas les voyages qui forment la jeunesse que je n'ai pas.


Et je ne m'emmerde pas.   J'aurais pu prendre des photos de ce foutu appartement sous toutes ses coutures, à toutes les heures de la journée, en me levant le matin l'angoisse au ventre, échangeant mes paradigmes, un peu de salon, un peu de chambre de bain, un peu de plafond, un peu de ce Museum Of Everything sur les grands murs hauts, en couleur sépia, en couleur glacée, en palette de rétro, de pur, d'élégant, de monochrome, de dynamique, de trou d'épingle, de granularité.
J'aurais pu chercher un autre paradigme d'écriture, une autre version , un autre point de vue pour raconter.






J'aurais pu penser alors à te faire un scénario à la Truffaut.
J'aurais pu me tapper l'ensemble de l'oeuvre.  Les 400 coups, les baisers volés, Jules et Jim
et la Moreau en Beauté.  Te faire nouveau roman à la Nathalie Sarraute ou théâtre à la Tardieu.
J'aurais pu penser prendre la direction entomologique et te décrire la possibilité de la vie des insectes provençaux sous ma couette de coton blanc.
J'aurais pu penser ne t'écrire qu'en dialogues, comme la télésérie GIRLS, où mon personnage préféré est Anna, l'écrivaine ratée et trop grosse, la parfaite anti-héroïne américaine comme je les aime.  J'aurais pu penser te faire un blogue de recettes provençales tiens, tant qu'à y être. Te mélanger de l'ailloli et de l'anchoïade, de l'aspergeade ou de l'avocanaise, de la tapenade d'aubergines à la rouille de la bouillabaisse de poissons.



Et je ne m'emmerde tellement pas que je ne pense pas à devenir un autre même si c'est l'enfer.

Un autre plus tonique que moi.

Un autre plus Gin que moi.

Un autre Gin Tonic!

La Cigale

 








lundi 14 janvier 2013

Dallas



Lettre 3

Chère I.



J'aime mon chien.  Mais, pour une raison que j'ignore, mon chien ne m'aime pas. Il ne frétille pas de la queue quand j'ouvre la porte.  Il ne saute pas de joie à la vue de mon seul visage.  Il ne ronronne pas comme un chat quand je lui frotte les oreilles de dessous.  Il ne geint pas de chagrin quand je le laisse derrière la porte de ma chambre à coucher.  Il ne se love pas dans mes bras quand il est fatigué.  Il ne demande jamais à jouer du bout de son petit museau humide et oh combien trognon.  Il ne fait pas des ondulations de bonheur, couché sur son petit dos frisé, les quatre fers en l'air après nos nombreuses et interminables ballades.

Mon chien me regarde d'un air dubitatif.  Ses deux yeux malins et très noirs sont traversés par trois doigts de travers, un cinquième oeil, un sixième sens, un je-ne-sais-pas-quoi qui me fait sentir mal aimée.
On m'avait pourtant promis que les chiens étaient les parfaits individus pour écouter nos solitudes urbano-modernes.  Les parfait petits trucs qui permettent de transcender nos amours malheureuses.  Le compagnon qu'on disait fidèle pour remplir les journées de désarroi.  Le petit animal qui tiendrait compagnie à nos plus grandes illusions déçues.  Le substitut affectif qui, lui, ne refuserait jamais nos bisous et nos câlins.  Bref, le chien devait sauver mon coeur de la dèche et du désespoir.

Wrongggggggggggggggggggggggggggggggggggggggg

Mon chien est celui qui me lance que je n'ai pas l'once de chien au corps.  Que je n'ai pas de chien comme on dit avoir du chien.  Que j'ai l'air malade comme un chien dans ma vie de chien dans ce temps de chien et que nous nous entendons finalement, lui et moi, comme chien et chat.
Mon chien n'a jamais voulu que je l'appelle Milou. 
Encore moins Coco.  Chanel.


Alors je me suis dit que la seule façon de sauver notre relation était de lui faire voir ailleurs si nous y étions.  Cette fois, on ne me reprochera certainement pas de ne pas savoir m'engager suffisamment et de fuir à la moindre difficulté.  J'allais sauver notre couple. A la sueur de ma volonté. On nous citera en exception.   Modèle.  De cela, j'en étais certaine.
Mal me pris de l'emmener en cabochon sous l'épaule dans ce voyage sans queue ni tête.

-Alors cocotte, tu te prends pour Carla Bruni, c'est ça?

-T'as vu ta tronche de bourgeoise à Aix et tes fantasmes de quelqu'un m'a dit avec ta guitare rose pailletée d'argent, achetée annonce-classée sur le Mirabeau? 

Mon chien n'a pas aimé les cent photos déclinées en rose de ma nouvelle guitare.  Il m'a trouvée ridicule de ne pas visiter le musée Granet, le musée des tapisseries, ou de ne pas faire le grand tour des bastides (avec lui) d'Aix.
Il m'a trouvée ridicule de n'aimer que le Mirabeau enrubanné de pois rouges par Yahoi Kusama, cette artiste japonaise timbrée, vivant à demeure à l'hôpital psychiatrique.  De m'attarder au platane tout peint de blanc devant le musée Granet sans vouloir y mettre le moindre petit pied.




Ridicule de me foutre dans le bordel de l'ouverture de Marseille, ville culturelle 2013.  Des chiens, là, il y en avait partout.  De beaucoup plus beaux.  De beaucoup plus gentils.  De beaucoup plus frétillants. De beaucoup plus chiens.  Des vrais chiens.  Des chiens au resto, des chiens au musée, des chiens en bâteau.  Des chiens français.

J'ai voulu tuer mon chien quand devant le magnifique musée du MuCEM, cette incroyable construction de 40 000m2, projet so romantique, tout en dentelle de béton, ce carré parfait de 72 mètres de côté reliant l'ultra moderne au Vieux-Port, il a laissé une crotte, sans tambour ni trompette.
Ridicule de m'intéresser à cet architecte, Rudy Ricciotti et de découvrir qu'il est aussi l'auteur du Pavillon Noir,  la nouvelle maison de la danse à Aix, qui rendrait fou de jalousie M. et H. avec son immense salle de spectacle et ses grands espaces de travail hyper fenestré aux étages.



J'ai voulu tuer mon chien quand il a ri de mes poses de danseuse ratée sous le soleil brillant et froid de l'île d'If, cette poignée d'hectares de calcaire blanc éblouissant d'où Monte-Cristo, ce beau comte ténébreux s'est évadé sous la plume d'Alexandre Dumas.  Moi je l'ai trouvé ridicule de ne pas connaître ses classiques.


Alors, plutôt que de le ramener à bon port sous les lueurs douces-amers de fin d'après-midi dans ce Marseille en bougeotte.  Plutôt que de le laisser clamer à plus soif sous les beuglements des sirènes et des cornes de brumes et des feux d'artifice.  Plutôt que de recevoir les centaines de plumes lancées du ciel par des acrobates fous, j'ai laissé mon chien, tout seul, dans le cachot froid, glacé, de ceux qui ont péri dans les oubliettes de l'homme au masque de fer.

Mon chien est peut-être mort.

Mon chien s'appelle Dallas.



La cigale