lundi 14 janvier 2013

Dallas



Lettre 3

Chère I.



J'aime mon chien.  Mais, pour une raison que j'ignore, mon chien ne m'aime pas. Il ne frétille pas de la queue quand j'ouvre la porte.  Il ne saute pas de joie à la vue de mon seul visage.  Il ne ronronne pas comme un chat quand je lui frotte les oreilles de dessous.  Il ne geint pas de chagrin quand je le laisse derrière la porte de ma chambre à coucher.  Il ne se love pas dans mes bras quand il est fatigué.  Il ne demande jamais à jouer du bout de son petit museau humide et oh combien trognon.  Il ne fait pas des ondulations de bonheur, couché sur son petit dos frisé, les quatre fers en l'air après nos nombreuses et interminables ballades.

Mon chien me regarde d'un air dubitatif.  Ses deux yeux malins et très noirs sont traversés par trois doigts de travers, un cinquième oeil, un sixième sens, un je-ne-sais-pas-quoi qui me fait sentir mal aimée.
On m'avait pourtant promis que les chiens étaient les parfaits individus pour écouter nos solitudes urbano-modernes.  Les parfait petits trucs qui permettent de transcender nos amours malheureuses.  Le compagnon qu'on disait fidèle pour remplir les journées de désarroi.  Le petit animal qui tiendrait compagnie à nos plus grandes illusions déçues.  Le substitut affectif qui, lui, ne refuserait jamais nos bisous et nos câlins.  Bref, le chien devait sauver mon coeur de la dèche et du désespoir.

Wrongggggggggggggggggggggggggggggggggggggggg

Mon chien est celui qui me lance que je n'ai pas l'once de chien au corps.  Que je n'ai pas de chien comme on dit avoir du chien.  Que j'ai l'air malade comme un chien dans ma vie de chien dans ce temps de chien et que nous nous entendons finalement, lui et moi, comme chien et chat.
Mon chien n'a jamais voulu que je l'appelle Milou. 
Encore moins Coco.  Chanel.


Alors je me suis dit que la seule façon de sauver notre relation était de lui faire voir ailleurs si nous y étions.  Cette fois, on ne me reprochera certainement pas de ne pas savoir m'engager suffisamment et de fuir à la moindre difficulté.  J'allais sauver notre couple. A la sueur de ma volonté. On nous citera en exception.   Modèle.  De cela, j'en étais certaine.
Mal me pris de l'emmener en cabochon sous l'épaule dans ce voyage sans queue ni tête.

-Alors cocotte, tu te prends pour Carla Bruni, c'est ça?

-T'as vu ta tronche de bourgeoise à Aix et tes fantasmes de quelqu'un m'a dit avec ta guitare rose pailletée d'argent, achetée annonce-classée sur le Mirabeau? 

Mon chien n'a pas aimé les cent photos déclinées en rose de ma nouvelle guitare.  Il m'a trouvée ridicule de ne pas visiter le musée Granet, le musée des tapisseries, ou de ne pas faire le grand tour des bastides (avec lui) d'Aix.
Il m'a trouvée ridicule de n'aimer que le Mirabeau enrubanné de pois rouges par Yahoi Kusama, cette artiste japonaise timbrée, vivant à demeure à l'hôpital psychiatrique.  De m'attarder au platane tout peint de blanc devant le musée Granet sans vouloir y mettre le moindre petit pied.




Ridicule de me foutre dans le bordel de l'ouverture de Marseille, ville culturelle 2013.  Des chiens, là, il y en avait partout.  De beaucoup plus beaux.  De beaucoup plus gentils.  De beaucoup plus frétillants. De beaucoup plus chiens.  Des vrais chiens.  Des chiens au resto, des chiens au musée, des chiens en bâteau.  Des chiens français.

J'ai voulu tuer mon chien quand devant le magnifique musée du MuCEM, cette incroyable construction de 40 000m2, projet so romantique, tout en dentelle de béton, ce carré parfait de 72 mètres de côté reliant l'ultra moderne au Vieux-Port, il a laissé une crotte, sans tambour ni trompette.
Ridicule de m'intéresser à cet architecte, Rudy Ricciotti et de découvrir qu'il est aussi l'auteur du Pavillon Noir,  la nouvelle maison de la danse à Aix, qui rendrait fou de jalousie M. et H. avec son immense salle de spectacle et ses grands espaces de travail hyper fenestré aux étages.



J'ai voulu tuer mon chien quand il a ri de mes poses de danseuse ratée sous le soleil brillant et froid de l'île d'If, cette poignée d'hectares de calcaire blanc éblouissant d'où Monte-Cristo, ce beau comte ténébreux s'est évadé sous la plume d'Alexandre Dumas.  Moi je l'ai trouvé ridicule de ne pas connaître ses classiques.


Alors, plutôt que de le ramener à bon port sous les lueurs douces-amers de fin d'après-midi dans ce Marseille en bougeotte.  Plutôt que de le laisser clamer à plus soif sous les beuglements des sirènes et des cornes de brumes et des feux d'artifice.  Plutôt que de recevoir les centaines de plumes lancées du ciel par des acrobates fous, j'ai laissé mon chien, tout seul, dans le cachot froid, glacé, de ceux qui ont péri dans les oubliettes de l'homme au masque de fer.

Mon chien est peut-être mort.

Mon chien s'appelle Dallas.



La cigale








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