mercredi 23 janvier 2013

Ma Femme s'appelle Retour

Chère I.

Lettre 6

«Tout se résume à ceci: avoir des sensations et lire la nature.»

Paul Cézanne

«Te voilà maintenant qui t'enfuis
  Tirant ta révérence
  La forêt de nouveau frémit
  Et je profite du silence»

Mathieu Lescop, textes et musique, LA FÔRET, 2012





Paul s'est à nouveau invité à dîner ce soir.  Nous avons sorti D. et moi l'ensemble de nos douceurs.  Un petit fumet de poisson en nage provençale, une fondue de tomates et sauce de pistou, un navarin printanier même si c'est l'hiver et que les moutons ne nous offrent pas leurs épaules pour nous endormir dans le grand soir clair.
Et de toute façon dormir pour Paul, cela semble plus que compliqué.  Une terre à conquérir. Il a convié ses troupes de moutons au grand complet.  Mais ce ne sont que ces grossières mules noires qui se sont pointées le bout du bec.  Glapissant comme des poules.
Une véritable ménagerie de verres...

clinggggggggggggggg.......

J'ai bien peur que Paul s'immisce.  Sans faire tellement de bruit.  Sans faire tellement attention.    Seulement parce que sa vie adore les erreurs, l'inconscient, l'imperfection, l'inquiétude, surtout pas la maîtrise. 
Et que de la maîtrise moi, je ne sais rien en faire non plus,  sinon de la bouillabaisse bonne pour tous ces ânes de notre parfois trop souffrante terre en friche, en miettes, en plexus désolidaires.

Paul s'est levé un matin, l'angoisse tiraillant son ventre et derrière la lourde chute des rideaux de sa chambre à coucher, il a vu la lueur très discrète de l'aube.  Les pétales vertes foncées de l'imprimé ondulaient.  La lumière malgré la peur était si belle.  Retenue.  En promesse.



Sa chambre à coucher est le parfait décor des possibles.  La forêt des silences.  Le lieu de la lumière et de l'espace.  Et de l'espace, il en avait bien besoin.  De l'espace pour son coeur.  Et aussi de l'exercice.  Ses muscles criaient famine.  Les grand-droits, les inter-costaux, les striés et les lisses, tous se mettaient de son côté pour le sortir du lit.

Peut-être Cézanne avait-il raison?

Peut-être «...l'univers n'était-il qu'une même coulée, un fleuve aérien de reflets dansants autour des idées de l'homme...»?

Paul avait décidé, que, bien qu'il ne pouvait pas se battre sur le même terrain que celui de G., il allait tenter de reconquérir Helena.  Coûte que coûte.  Cela passerait sans doute par le corps.  Son corps à elle.  Son corps à lui,  ce corps-à-corps des amoureux transis, des amoureux dépassés, des amoureux en transit.

Paul ne pouvait pas être docteur pour rien.  Pour faire plaisir à sa maman (charmante par ailleurs dans ses 85 ans pétillants).  Pour se conformer à son rang, à sa classe sociale.  Pour procéder au pouvoir du monde.  Pour accéder aux parvenus, aux bons revenus, aux bien repus.  Paul devait être un docteur pour autre chose.

Pour pouvoir offrir à Helena les étranges prismes convexes ou concaves, en ombre ou en lumière que sont ces immenses façades blanches, ou rouges, ou grises, ou ocres, ou vertes, ou jaunes ou infinies du Mont de la Sainte-Vicoire.



Pour pouvoir offrir à Helena un âne, sans vierge Marie, un petit âne têtu comme une mule sur les chemins des sommets.



Pour pouvoir offrir à Helena un bouquet d'anémones de toutes les couleurs, en l'embrassant sur la commissure de sa bouche tendre, au café sous le soleil trempé de janvier.  Il y aurait presque des fraises en janvier.  Et elle aurait une traînée de coulis fruités sous la lèvre dodue et inférieure de sa belle bouche de fraise et de janvier et il l'embrasserait tout en sucré, une fois, deux fois, mille fois, sur sa bouche il retournerait.


Pour pouvoir offrir à Helena, sa belle femme fontaine,  une fontaine d'argent dans le soir de la rue de la mule noire.



Pour que sa femme s'appelle à nouveau Retour!


La Cigale


PS.  L'âne c'était pour N. et R.


PPS.  Crois-tu vraiment  qu'Helena va lui revenir?

  


1 commentaire:

  1. L'avais déjà lu cele-là. Dans la vie, y'a presque rien de plus beau que des renoncules se reposant entre l'ombre et le soleil...bah y'a pas juste des renoncules dans ce bouquet, mais...moé j'ai pas de fleurs, pas de chien, pas de G, pas de Paul, mais je t'ai toi et Fufu aussi. (Je dois la nommer) Je vois qu'elle lit les lettres :)

    RépondreSupprimer