vendredi 31 mai 2013

Comme une assiette de Picasso

Lettre 32

Chère I.

Pour Marika et Kathy O.

« J’ai fait des assiettes, on peut manger dedans. »

Picasso



un

Dans la chambre aux très hauts plafonds du 6, rue de la Mule Noire, Paul se repose l'âme amochée (il faut avoir lu le Blog «Comme une bande-dessinée»).  Il écoute, attentif au silence de la nuit,  le frémissement de sa tisane boutons de rose et fleurs d'oranger, versé de sa très jolie théière japonaise à son gobelet de céramique rouge «Brfchchchhchchchcoucuchhh».
Paul sent son coeur s'apaiser doucement.  Comme seuls l'immobilité des grands rideaux verts, le decrescendo des journées trop pleines et des corps trop tourmentés et la mélodie de l'eau bouillie peuvent l'apaiser. 


Paul en a marre de passer pour un connard.  Et il en a marre d'avoir le coeur brisé.
«The sun rolls slowly down again-The Dark it comes but I can't say when» chante Vanessa Paradis en toile de fond des fêlures des vingt-deux heures trente de Paul.  Parce que même les plus maladroits, parce que même les plus paumés, parce que même les plus cons des hommes ont deux ventricules et quelques oreillettes pour faire battre leur coeur.
Pourquoi personne ne comprend que sous ses fanfaronnades et ses digressions, que sous ses emportements amoureux et ses inconséquences,  Paul est un homme tout simplement blessé?
Personne, vraiment personne ne l'a vu?

«Incroyable!!!!»pense tout de même l'auteure, compatissante.
«Oh, moi tu sais Paul, je te prendrais bien dans mes bras et je te bercerais longtemps, longtemps... Mais je ne peux pas le faire, je ne peux pas te toucher véritablement!  Y 'a tout ce monde tu sais qui nous sépare... Qu'est-ce que je pourrais faire pour toi, alors?» se questionne-t-elle, toute bienveillante devant la souffrance de Paul.
«De vos rêves À mes rêves Il n'y a presque rien Rien qu'un trait de Rose rouge à lèvres Sur votre cou brûlant Brûlant de fièvre...» chantent cette fois Vanessa et Benjamin Biolay, en duo sensible, fendant l'âme solitaire de Paul en mille pièces et autant de frémissements.


«Ah putain! Je me sens foutûment, mais foutûment malheureux et seul,  là...» s'avoue-t-il impuissant.  Ses larmes si longtemps contenues se déversent longuement, sans faire tellement de bruit, le long de ses pommettes, coulant salées partout, dans son nez, sur ses lèvres, dans sa bouche et son cou brûlant, se mélangeant aux boutons de rose et aux fleurs d'oranger de sa tisane sucrée.  Salées-sucrées. Et personne pour tout tendrement, les goûter... 
«Oufffffffffffffffffff...» soupire Paul.
«Ouffffffffffffffffff...» écrit l'auteure.
«Ouffffffffffffffffff...» sanglotent les lecteurs.









deux

«C'est bien de pleurer, Paul, tu sais!  La première chose à faire devant ton sentiment de malheur, c'est bien de ne rien faire justement! Et de tout simplement t'accueuillir toi-même, dans ce que tu ressens véritablement...» lui confirmerait Mireille, la psychologue (voir le Blog «Comme une télé-série»).
«J'ai fait des assiettes, on peut manger dedans...» rigolerait quant à lui Picasso, les mains pleines de terre à cuire et l'oeil juteux, plein de femmes à dessiner.
«Allez vient Paul! Bonne idée.... Je t'amène à Aubagne voir l'expo de Picasso le céramiste!» décide l'auteure, thérapeutique à sa manière.


«Eh! Pique-assiette!!!! T'as bien compris que la solitude, les soirées entre soi-même et soi-même, tout ce tralala monacal, c'était vraiment pas ton truc, quoi! Dora, Olga, Françoise, Jacqueline, tes plus de 4 000 oeuvres comme céramiste, et tout le reste.... Oh! Putain! t'as pas dû pleurer tout seul dans ta chambre très souvent toi.... en plus de tes-je-sais-pas-trop-combien-d'enfants...» marmonne  Paul, jaloux et tout à la fois ébloui par la libido pure et magnificiente de Mister Picasso.



«Et c'est quoi son truc à lui pour être si vivant, si débordant, si créatif et sensuel?» demande-t-il à l'auteure.
«Paul, tu sais que ça ne sert vraiment à rien de te comparer.  Quand comprendras-tu ça à la fin, tête de noix?  Tu n'es pas Picasso, évidemment!  Mais tu es Paul... euh... ça pourrait déjà être pas si mal...» argue-t-elle.


«La véritable leçon de Picasso le céramiste, Paul, c'est de comprendre l'importance de la Terre.  Retourne à tes Racines.  Retourne défricher la Terre de tes Origines... Salis tes petites mains trop propres...  Cent fois retourne sur ton Tour, empoigner cette Terre, la remodeler, la comprendre, l'écouter.... mais toujours, avec l'enthousiasme de celui qui a saisi sa chance d'explorer, de créer, de  découvrir, se tromper surtout, observer, recommencer... »
lui confie, solennelle et un brin sentencieuse, La Femme au Vase Bleu, la main gauche soutenant sa longue chevelure noire.


«Ouiiiiiii! Tu as raison!!!!» comprend Paul,  revigoré.
«Sacré Paul! Il se démerde pas mal du tout!!!  Peut-être n'a-t-il pas autant besoin de moi que je le pensais...» conclut finalement l'auteure, étonnée devant les forces mystérieuses de Paul.
Devant les forces profondes, terriennes et brutes de Paul.
Son ami.



La Cigale

Ps: J'ai toujours rêvé de dresser une magnifique et immense table, au jardin, pour tous mes adorables copains, où tous les couverts ne seraient que des assiettes de Picasso!!!!
















































 


samedi 25 mai 2013

Comme une bande-dessinée :)

Lettre 31

Chère I.

-  «Rhâââââââ bordel achiottes de connasse de télécommande sa mère la pute de poufiasse de merde de bite à couilles de saloperie de chiure à pine tu vas marcher à la fin putain
- «Maman, dis pas putain!»

Margaux Motin J'aurais adoré être ethnologue... 2009

«Life is what happens to you while you're busy making other plans.»

John Lennon



Paul a visiblement un problème.  Son très court séminaire de croissance personnelle lui a donné le vent dans les voiles (il faut avoir lu le Blog «Comme une Télé-Série»).   Il ne porte depuis que des jeans de coton vert pomme ou jaune citron, et une veste de cuirette noire.  Paul s'est enfin trouvé.  «Tu comprends, depuis ma séparation je ne savais plus trop où j'en étais.  C'était vraiment une période de grand vide.  Le grand néant.  Tous mes repères, pffffffffff, envolés.  Mais au fond, maintenant que j'ai su affronter ma solitude, regarder honnêtement mes bibittes,  ce qui m'appartenait aussi dans l'échec de ma relation avec Helena, ben ça m'a vachement permis de grandir, de kiffer quoi, de savoir qui j'étais vraiment sous toutes ces couches de faux-moi... » beugle-t-il à un étudiant américain, à trois heures du matin, en sortant du Splendid sur le Mirabeau.
«Tékasse man,  j'ai arrêté d'en vouloir à Helenaaaaa... Au fond, si on aime une Femme, aimer vraiment... ben il faut savoir la laisser libre.  La laisser partir...  Ne pas s'accrocher à son petit confort bourgeois de merde.... Helena n'était plus heureuse avec moi... et moi, maintenant, j'ai décidé de trouver une femme qui me corresponde vraiment, qui me ressemble plus, qui aspire aux mêmes trucs d'authenticité et de partage que moi...  j'ai décidé d'avancer quoi....» marmonne-t-il à Brian en titubant vers le 6, rue de la Mule Noire,  la bouche molle et les yeux en fentes de chat.

L'autre problème, c'est que Paul est convaincu de l'avoir trouvée.  Et qu'il est de nouveau amoureux. Mais cette fois, de la bonne... Comme les milles trois-cent cinquante et unième autres fois.  Ce qui commence à devenir sérieusement ridicule étant donné son âge,  son statut juridique, son groupe-sanguin, sa grave régression dans l'adolescence, sa cuite sévère au Splendid accompagnée de sa double calvitie de type androgénique, droite et gauche.
«Amoureux, amoureux!  Est-ce que tous tes emportements affectifs sont véritablement de l'amour?» le questionne l'auteure, sagace entre deux rosés et une cigarette, plantée devant son ordinateur un vendredi soir à 23 heures 43 minutes.  Pour faire changement...


Le nouvel amour de Paul s'appelle Margaux. Mais elle ne le sait pas encore.  Son numéro de portable est le 06387665. Elle est l'insolente vedette montante française de la bande-dessinée, tout nouvellement Paris-Matchée.

«Bonjour Miss Motin? J'ai  D-É-V-O-R-É tous vos bouquins! C'est du nouveau Claire Bretecher.  En beaucoup mieux!  C'est plus costaud que tous les Astérix et Obélix réunis, paix à  Goscinny et Uderzo...  C'est un coup de génie à la John Lennon votre truc, quoi!  Je suis docteur gynécologue... et je suis particulièrement sensible à votre corps... euh, je veux dire aux corps quoi.... leur mouvement, leur poésie, enfin... la façon que vous avez d'habiter le corps... euh, de comprendre les corps... de dessiner les corps.... enfin, vous voyez ce que je veux dire...» lance Paul, tentant de briser la glace.


«C'est qui exactement cet enfoiré qui me téléphone sur mon portable perso?  C'est quoi ces conneries qui m'arrivent depuis ce putain d'article dans le Paris-Match, et bordel de sa soeur de merde? Je vais décéder moi avec tous ces cons de mecs de mon...» pense Margaux, enroulée dans sa belle écharpe de laine et de soie rouge, confectionnée par Kat, sa délicieuse et talentueuse amie.
 «Je vous en prie, je vous en prie, mademoiselle Margaux! Ne raccrochez pas! Je sais qu'on vous sollicite beaucoup et... on doit pas dire des choses comme ça, mais... vous me séduisez vraiment beaucoup.... J'arrête pas de rêver que je suis à la plage avec vous, que j'essaie de vous sortir de votre solitude! La Solituuuuude, ça oui hein... je connais...» bafoue Paul.


«Ohlalalala! Mais qu'est-ce que je vais faire avec vous à la fin, Monsieur... Ah! Monsieur Paul. Et vous êtes plus Paul McCartney ou Paul Cézanne?   Bon... bon... Attendez, je sors ma plume.  Donnez-moi votre numéro, je vous appelle un de ces quatre.... mais franchement je vois vraiment pas où on pourra en venir vous et moi.... » affirme Margaux, dégoûté par son nouveau succès mais ne sachant pas trop comment le gérer.


«Ben, on pourrait commencer par se prendre un petit verre tous les deux non? Il fait tarpin beau aujourd'hui...» roucoule bêtement Paul.
«Mais... Quel âge vous avez là, Monsieur chose.... Vous commencez à me prendre la tête grâve quoi! Tarpin, tarpin, c'est les ados qui disent ça.... »répond-t-elle.
«Oh putain, pfffffffffffff, si mes meufs me voyaient là.... prochaine étape, je vais décéder bis...» pense Margaux, abasourdi par les hommes de cinquante ans qui se prennent pour des mecs de vingt.


Paul ajuste sa ceinture de coton jaune enroulé autour de son nouveau pantalon cigarette pêche, acheté expressément chez H&M pour la rencontre espérée.  Le portable appuyé entre son épaule droite en contracture et sa mâchoire tendue,  il allume une cigarette, les mains toutes tremblantes et le coeur en accéléré à 170 tours la minute.
«Mafemoizelle Margaux, je zous en frie, zouvez-vous m'attendre zun instant, zessaie d'allumer zune clope?»
«Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip.....»
La ligne est coupée.

Paul entend clairement la tonalité de son lamentable échec.  Ça fait souvent biiiiiiiiiiip l'échec, et ça fait TOUJOURS mal au coeur.
Air archi-connu....
Mélodie sans queue ni tête...
«Rrrrhhâââââââ crotte!!!!!!»

Paul a peut-être retrouvé un élan de jeunesse, une nouvelle garde-robe à composante pastel, plein de potes plutôt sympas.  Mais il semble avoir définitivement perdu l'art subtil de flirter les nanas qui le branchent véritablement.  Celles qui aiment les corps, l'amour, la bande-dessinée, le sexe et...


...surtout cette super meuf qui like to move it, move itttttt, i like to move it!!!!!

La Cigale

Ps:









samedi 18 mai 2013

Comme une Télé-Série

Lettre 30

Pour J. et M-A., mes soeurs un jour, mes soeurs toujours!



Chère I.

«C'est toujours interdit de pratiquer une autopsie sur quelqu'un de vivant?»

Docteur House

«La solitude est un sentiment ressenti par tellement de gens, qu'il serait égoïste de le ressentir tout seul

Les fères Scott 




Ce n'était pas tout d'insister sur le respect des besoins, de la sensibilité et de l'engagement de Paul par son auteure un peu détraquée (il faut avoir lu le blog, «Comme une chanson»:-). Paul décide de mobiliser ses forces intérieures et essaie, tant bien que mal, de retrouver l'essence de ce qui l'habite et le construit  «Euh....»
Évidemment, le programme est vaste, en plus d'être passablement casse-gueule. On ne peut pas dire que Paul soit tellement du genre croissance personnelle, Choisir sa Vie, Un pas vers la réussite, Le chemin le moins fréquenté, La seule vraie cause de votre échec.  Mais il se dit qu'il préfère tout de même une tentative de croissance personnelle à la menace d'un nouveau vendredi ET samedi soir en solo.  Et pourquoi pas ce séminaire dans le Lubéron, sous la supervision d'une psychologue expérimentée,  à seulement 40 kilomètres d'Aix?


Tout est magnifiquement bucolique sous le ciel un peu lourd, au château de Lourmarin. Tout y est serin, vert.  Reposant. Sauf les participantes...
Pas un homme dans le cercle des ménopausées, sinon Paul,  plutôt à l'horizontale sur sa petite chaise de bois. «Putain! c'est quoi encore cette galère dans laquelle je me suis fourrée....» se dit Paul, ayant déjà payé son dispendieux forfait ateliers/deux nuitées au château/souper gastronomique/visite du Fort Buoux.




«On ne peut plus se permettre de faire tellement les élégantes mes chéries, quand on a l'âge où les poils nous poussent au menton.  Chaque fois qu'un homme me regarde, je suis ABSOLUMENT certaine qu'il ne voit qu'un de ces foutus dérèglements pileux!», lance Renée, au nez et à la barbe du groupe de femmes.


 «Ben oui, les femmes, les femmes... toujours les pauvres femmes qui vieillissent... Et vous les avez vu, vous, les hommes avec des poils comme ça qui sortent de leurs narines et de leurs oreilles?  Et c'est sans parler de leurs sourcils!  Vous les avez vu leurs sourcils?  Vous ne trouvez pas que c'est aussi un problème chez les hommes, monsieur... euh... monsieur, Paul je crois?», s'exclame Joanne, véhémente, soulignant son propos de ses deux mains.
«Euh... je n'ai jamais vraiment abordé le problème sous cet angle-là...» répond Paul, se lissant les cheveux pour cacher sa calvitie.
«Je ne pense pas que vous êtres vraiment sur une bonne voie de réflexion, mesdames...et monsieur.  Vieillir n'est pas un concours de pilosité, que je sache.   Pourrions-nous trouver ensemble un sens plus profond à cette transformation dans nos vies?» demande Mireille, la psychologue-animatrice, en jeans vert un peu trop moulant, tentant d'ajuster son propos.
«Comment survivre à son poil, ouais, ça aurait dû être ça le titre de votre séminaire...  Certains individus ont plus le tour que d'autres, visiblement...», répond Renée, pointant du doigt un chien déambulant dans la ruelle.


«Et avec le corps qui se déglingue, la taille qui épaissit, le ballotant sous les triceps et ces fameux poils qui poussent partout au mauvais endroit, les autres qui changent de couleur ou qui tombent en poignée, vous aurez beau dire et chercher des significations héroïques là où vous vous voudrez, moi je pense que vieillir, ça se résume sérieusement à une affaire de poils! Et que l'obsession de la pilosité, c'est vraiment la seule chose qu'on a en commun avec nos filles adolescentes!!!!», note Marie-Andrée en tournant une couette de ses cheveux teints autour de l'index de la main droite.



«Mesdames, mesdames, s'il-vous-plaît!  Pourrais-je vous demander de resserrer davantage vos propos?  Et vous Monsieur Paul, pouvez-vous nous parler un peu de vous, de votre travail, de vos solutions et de vos inspirations dans ce moment de la mi-temps de votre vie?», lui demande la psychologue, en perte totale de contrôle.

Paul décide que le moment est venu de se tremper véritablement dans ses émotions devant les autres et de s'engager enfin dans sa sensibilité, sans cette fameuse distance qu'il a utilisée à plus soif dans sa profession et,  autrefois, avec Helena.
« ... mais moi ma femme m'a quitté pour un homme de 12 ans son cadet je me sens vieux inutile seul mon fils est parti vivre en pension mon chien a préféré ma femme je suis foutûment seul moi qui aime pourtant tellement les femmes qui a tant d'amour à donner et qui suis même gynécologue...»  lance-t-il en tirade.
Les trois femmes, Joanne, Marie-Andrée et Renée (qui sont de fait trois soeurs), comprenant soudain qu'elles sont en présence d'un célibataire masculin, de type docteur, se lèvent d'un seul bond et disparaissent derrière la porte du séminaire pour sortir leur pince à épiler.

«Euh... je suis désolée, vraiment désolée monsieur Paul.  Je ne comprends pas exactement ce qui arrive ici, ce matin!» lui dit l'animatrice Mireille.  «Peut-être aimeriez-vous prendre un verre à la maison? Je pourrais vous raconter mon dernier treck au Vietnam dans un groupe de réflexion spirituelle... » lui demande-t-elle, soudain coquette...
«Pourquoi pas...?» lui répond Paul, les sourcils (broussailleux) en accent circonflexe, estomaqué par l'efficacité du processus de croissance personnelle et par le pouvoir de sa toute nouvelle authenticité.




La Cigale


Ps: Moi franchement, je préfère de loin les piquantes sorcières, même poilues et pleine de pustules,  aux ennuyantes (et vraiment belles, c'est vrai) princesses des contes de fée.  Et toi?




 






mercredi 8 mai 2013

Comme une chanson!

Chère I.

Lettre 29

Aimer les rires et les pleurs/Aimer le jour, aimer la nuit/Aimer le soleil et la pluie/Aimer l'hiver, aimer le vent/ Aimer le villes et les champs/Aimer la mer, aimer le feu/Aimer la terre pour être heureux. 
Les Demoiselles de Rochefort, Un film de Jacques Demy, 1967


«Dites trente-trois trois fois.»
«Trente-trois trois fois.»
«Non, non, Trente-trois, Trois, Fois!»
«Trente-trois, Trois, Fois!»
«... »
«Ah! Docteur, vous voulez dire, trente-trois, trente-trois, trente-trois!»
«Voilà! Bravo! Alors, allons-y!»
«Trentrois/ troisfois/ trente et trois/ trois/ trois...» chantonne la patiente dans le bureau gris de Paul.
Paul hausse les deux sourcils en accent circonflexe, stéthoscope au cou, en ce plat lundi où une patiente un peu timbrée lui chante «trente-trois trois fois» en triolets majeurs  dans les tympans droit et gauche, en petite culotte de dentelle blanche. 
«On aura tout vu!» lui dirait sans doute le chien Scopello (il faut avoir lu le blog sicilien :),  sa tête penchée sur le côté, l'oreille droite à moitié pliée.
Nul chien à la clinique gynécologique du Vieux Aix pour commenter les vocalises des patientes, Delphine ou Solange, blondes ou brunes.
En robe rouge ou jaune.
Avec ou sans chapeaux.

«Parfois, je me dis que tes lecteurs préfèrent définitivement les chiens de tes histoires à ton personnage...» commente l'auteure, un peu découragée.
«Bon, ouais, t'as peut-être raison, mais un chien, comment veux-tu que j'en ai un dans cette clinique gynécologique aseptisée et pleine de spéculums en fer blanc, froids et frigides?»
«Ben, débrouille-toi à la fin, Paul! Moi, je ne peux tout de même pas TOUT faire pour toi! Essaie d'avoir un peu d'imagination quoi! » lui dit-elle, agacée soudain


La partie supérieure du speculum, reposant sur la table d'examen de Paul avec ses faux-airs de museau de chien, glisse sur la partie inférieure.  Le cliquetis de l'instrument résonne dans tout le bureau.  Paul se gratte la tempe droite.  Glisse son pied droit sur son pied gauche, frottant sa voûte supérieure.  Le speculum s'emballe.  «Clic-clic-clic-clic-clic-clic-clic-clic-clic.» Solange, la patiente en culotte blanche,  demeure coite, bouche entr'ouverte, sa chansonnette en suspens.
« Ah! / Que j'en ai marre/marre/marre/marre/marre/ d'être un speculum/ lum/ lum/ lum/ lum/ Pris dans la mare/ mare/ mare/ mare/ mare/ des jeunes filles en Boum/ Boum/ Boum/ Boum/ Boum...» chantonne cette fois le speculum.

«Mais c'est quoi ce bordel à la fin!» pense Paul, se prenant la tête entre les mains.
«Là, franchement, je commence à en avoir plus que marre d'être TON  personnage et d'endurer toutes TES lubies!  Tu ne prends jamais en considération MA propre sensibilité, MES véritables besoins, MON côté vraiment tendre et engagé.  Tu ne sais pas m'écouter!  Et je passe pour qui, moi, devant tous ces gens que je ne connais même pas! Par chance qu'il n'a aucun succès ton Blog, ma chère, il n'y a pas trop de lecteurs pour me trouver complètement désolant.... » reproche t-il à son auteure, tranchant.
«Écoute Paul, on ne va pas commencer à s'engueuler devant tout le monde, en public.  On règlera ça entre-nous plus tard, veux-tu.... En attendant, serre les dents et essaie de trouver le côté positif de ta situation.  Je te dirais tout de même que d'être auprès de la très jolie Solange en culotte de dentelle, chantonnant en dansant dans ton lundi gris, pendant que ton speculum se vide le coeur, il y en a plus d'un, de docteurs, qui l'envierait ton pauuuuuuvre sort...» lui répond son auteure, franchement excédée.

«Et moi/et moi/et moi/ tu m'as déjà oublié/ et moi/et moi/ et moi/ je ne suis pas en papier/ et moi/et moi/et moi/ un instrument du ferblantier/ qu'on malmène sans égard/ que les femmes détestent sans un regard...» continue de chanter le speculum, sérieusement déprimé.
On frappe à la porte. «Toc-toc-toc!» «Docteur! docteur! c'est la soeur de votre patiente qui tient absolument à vous rencontrer...  elle a une très charmante voix...» lui souffle sa gentille et dévouée secrétaire.
Le speculum se referme comme une huître «Clap!» intimidé par tout ce brouhaha.


Devant Paul, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, assis sans bouger dans son fauteuil ergonomique de cuir marron foncé, Solange et Delphine dansent et chantent, leurs grands chapeaux sur la tête.
«Delphiiine/ ma chériiie/mais que fais-tu iciii/» chantonne Solange, de nouveau dans sa robe jaune.
«Je suis venue/ pour te dire de ne pas oublier/ que l'amour est plus fort que tout/ que la joie c'est un peu fou/ et que c'est aussi un peu toi/» chante Delphine, tout de rose vêtue.


Le gris du matin cède sa place à la très belle lumière de cette avant-midi de mai,  traversant les carreaux de la grande fenêtre du bureau de Paul.  Solange et Delphine tendent la main droite à monsieur le speculum, la main gauche à monsieur le docteur Paul, entraîné bien malgré lui dans la ritournelle des soeurs jumelles, soudainement vêtues de magnifiques robes de soirée de paillettes rouges et de longs gants de velours assortis.


«Mi-fa-sol-la-mi-ré/ ré-mi-fa-sol-sol-sol-ré-do» chante Solange.
«Mi-fa-sol-la-mi-ré/ ré-mi-fa-sol-sol-sol-ré-do» chante Delphine.
«Mi-fa-sol-la-mi-ré/ ré-mi-fa-sol-sol-sol-ré-do» chante le speculum, enjoué.
«Mi-fa-sol-la-mi-ré/ ré-mi-fa-sol-sol-sol-ré-do/Tu avais peut-être raison au final/ mon sort n'est peut-être pas si minable/Mi-fa-sol-la-mi-ré/ ré-mi-fa-sol-sol-sol-ré-do» chante Paul dans ce véritable moment de joie, tout à coup reconnaissant.
À la vie.
À son métier.
À son speculum.
À Jacques Demy.
À ses talentueuses patientes.
Et tout de même un peu, à son auteure, ravie... 

La Cigale

Ps: Cours vite regarder à nouveau ce fantastique film culte!!!!!















  



samedi 4 mai 2013

Palermo Big Bang! (... et fin)

Chère I.

Lettre 28



SIX


Quatorze-heures cinquante et une minutes et trente secondes. 
Retour case départ.  Claudia et Sandro sont sauvés de leur désespoir amoureux. (C'est toujours ça de pris!).  Scopello n'a toujours pas retrouvé son maître.  Aucune nouvelle de Vittorio.  La Fiat 500 grise et ses deux énormes grafignes le long de la carlingue oblige Paul à retourner plus tôt dans l'enfer, audible ET visible, de Palermo.
«Pouetttt!!! Bing! Pouettttpuoettt! Bang! Pouettttt!»
«Qui e questo cretino!  Ma va fanculo!!!» dit Pig26, au détour d'un grand boulevard.


 «Eh! Garde-les tes gènes, Rambo! Allez! Casse-toi!!!» lui souffle Scopello, jappant comme un malade au feu de circulation, où Pig26, cigare à la bouche, au volant d'une Audi 9 rouge rutilante, lunettes Rayban noires et Panama blanc, leur coupe la voie et égratigne à nouveau la voiture.
«Sûr que c'est un mafioso celui-là! Je lui exploserais les testicules si je ne me retenais pas!» dit Paul, en colère, jetant un regard par derrière à la Fiat dans un piteux état.
«Aouch!!!! Ça va me coûter une beurrée, cette virée sicilienne de merda!» 
«Pouettetete! Pouettttt!» Au carrefour de Corso Vittorio Emanuele (tiens, ça dit quelque chose à Paul, ça...) et de la Piazza Quattro Canti, un nouvel embouteillage. Monstre.
Une foule bigarrée.  Des immenses caméras noires.  Un arsenal technique noyé parmi des dizaines de camions blancs.  D'autres hommes en lunettes fumées et caskets de cow-boy.  Des femmes fardées assises sur des petits bancs de bois, l'air de s'ennuyer ferme en sirotant un Monaco bien frais, cigarettes au bec,  flattant négligemment quelques chiens palermitains vagabonds.


«CeciliaCecilia!, c'est ton tour maintenant!» crie soudainement un homme, longs cheveux blancs ramassés en une lulu,  lunettes de faux intello et immenses halos de sueur sous les aisselles.

Paul stoppe le moteur.
Paul stoppe sa glycogénogenèse.
Paul stoppe sa régénération mitochondriale.
Paul stoppe son système nerveux sympathique et parasympathique.

Paul, détachant son coeur lentement de sa main droite, le dépose sur ses deux genoux. «pouhpouh, pouhpouh, pouhpouh!»  Son regard est tout tourné vers celle qui ne le voit pas.  La chaleur de son coeur réchauffe sa peau au travers ses cuisses, son ventre et son sexe.  Du minuscule trou laissé dans sa poitrine, gicle une immense gerbe de marguerites blanches, fraîches et neuves.
«In your dream, Paul!» lui souffle le chien sicilien, aux premières loges de cet incroyable Big Bang amoureux!

                                                       Portrait de Cecilia, Léonardo Da Vinci.

Quatorze heures cinquante minutes, trente et une secondes. Là, précisément au carrefour des grandes voies palermitaines, Paul est tombé, à nouveau, amoureux.

-Pfffffffffffffffffffffffffffffffffffffff!!!!!!!

En un seul instant.  En une seule seconde.

Scopello aboie. Les mouettes percent les nuages cotonneux de leur cris stridents.  La foule est déviée vers la droite.  Le clappement de l'ardoise résonne dans le grand ciel.


MOTEUR
ÇA TOURNE
«CLAP!»

 A-C-T-I-O-N...


ÉPILOGUE

Scopello a vu Vitorrio se faufiler par derrière son museau, tentant de l'attraper de ses deux mains avec un filet de pêche.  Très blême et plutôt raide, Vittorio ne fait plus bella figura et semble tout droit sorti du tableau Il trionfo della Morte.

                                                         Auteur inconnu, app. 1446, Palermo

«Que puis-je faire pour vous?» lui souffle Scopello, prenant son courage à quatre pattes.  Estomaqué qu'on ose lui demander, Vittorio prend, quant à lui, ses jambes à son cou et se perd dans Palermo, ne revenant plus jamais importuner le chien.
«Je suis, sans maître enfin, même pas cette mort de merde, un Chien Libre!!!!!»
«Bah! Libre... euh.... disons.... Et Adelina?» 

                                                                         FIN

La Cicala

Ps:  Tu crois qu'Adelina pourra laisser un peu d'espace, entre son fils unique et ses nombreuses obligations religieuses, pour la relation avec le chien Scopello?

Pps: L'Amour, La Mort, La Liberté... Ça te dit quelque chose toi?