dimanche 18 août 2013

Donne-moi un baiser

Pour la grande, belle et romanesque famille belge de D.
Et pour K., qui comprendra...



«Moi, je préfère les lilas mauves aux lilas blancs.  Parce que mauve, ça rime avec love et que love, c'est amour en anglais.»


Pitje Schramouille, poète marollien, de Bruxelles.


 


DONNE-MOI UN BAISER
GEEF ME EEN KUS

 

1-

Paul n'a plus fait l'amour depuis 15 mois.  Pour une femme, 15 mois, 450 jours et plus encore de minutes, c'est une simple question de numéro.  Pour un homme, c'est potentiellement interminable et explosif.  Pour Paul, le pauvre gynécologue en chagrin d'amour, c'est la longue traversée de son désert intérieur.  Et extérieur.  
Parce qu'un corps, ça se huile.  Ça s'entretient.  Ça  s'empoigne et se dépoigne.  Ça s'use et s'amuse.  Ça bouge et se repose.  Et qu'un corps-à-corps, c'est divin et profond.  Parce qu'un corps c'est fait pour le bonheur et l'amitié.  Mais surtout pour l'amour.   Et n'empêche que de tout temps, en mois, en jours, en minutes comme en secondes, ce que Paul a toujours préféré, ce sont les baisers. 

Et plus encore, le tout premier baiser. 

Ce premier baiser qui une fois en marche, dans l'ivresse absolue du partage, ne veut surtout plus jamais s'arrêter, animé par son énergie propre. Dévorante.
Pourtant, tout feu tout flamme, ces interminables bouche-à-bouche laisseront quelques marques disgracieuses.   Le menton de madame ressemblera davantage à un terrain de démineurs, en lambeaux galeux, qu'à un jardin de roses. Elle révèlera alors son lamentable profil de grand-brûlé à l'embrasseur, généralement embarrassé.  Monsieur frottera sa barbe rêche de la main gauche «Grichgrichgrichhhhh» et l'embrassera de plus belle pour s'en faire pardonner.

Avis aux intéressés. 
Ceci est une GRAVE ERREUR conduisant à un désastre dermatologique aigu!
Paroles de Docteur. 
 2-
Paul, de passage en Belgique après la régate en Hollande (voir le blog «Hellevoetlsluis») et avant le retour au pays, se dit justement que la toute nouvelle reine Mathilde a sans doute souffert, plus qu'il est acceptable, de la pilosité toute royale du roi Philippe.  Mathilde possède très exactement ce petit teint belge de porcelaine, qui rend les lendemains très difficiles.  Pas l'ombre d'une de ces photos toutefois dans la presse, en ce jour du couronnement où la souveraine ne laisse vraiment rien deviner de ses soucis cutanés.
Paul, quant à lui indifférent et septique devant les fêtes royales, se demande plutôt s'il préférerait partager un nouveau premier baiser en Flandres ou en Wallonie.  En français ou en flamand.  À Bruxelles, à Bruges, à Ostende ou au Coq.
 
À Namur, dans les Ardennes belges, à Liège ou à Arlon.   Paul se gratte la tempe droite.  Éternue par deux fois.  Allume une cigarette, puis une deuxième.  Avale tout dru une gorgée de Leffe.  Détaille la carte de la Belgique devant lui.  «Bon et puis merde.... je choisis au hasard, la chance!» se dit-il, fermant les yeux et lançant l'index de sa main droite sur la table. «Ce sera donc Gand.  Et la Flandre!  Vlaanderen! »
Gand.  
Gent, la très romantique.
 
 3-

Paul a vu la bicyclette en premier.  Puis les jambes.  Longues.  Des collants opaques vert-pomme.  Une robe courte et fuchsia, avec le vert-pomme, ça détonne mais c'est pour faire voler la tête.  À Gand, les jambons pendent dans les arcades des marchés.  Les souliers volent dans le ciel.  Les fesses ont de l'esprit.  Les cuisses sont culturelles.  Les ventres, écologiques.  Les corps se huilent et s'entretiennent à grands coups de pédales, de jolis canaux et de saules-pleureurs. 

 

«Ah putain! Mais pourquoi je rencontre cette femme de rêve dans ce foutu pays flamand dont je ne parle pas un TRAÎTRE mot.  Pas de Bonjour, pas de Bonsoir, pas de Bon matin, pas de Habitez-vous toujours chez votre mère ni de Voulez-vous danser avec moi, ce soir!  Je suis CUIT!!!!!!» se dit Paul, à nouveau liquéfié devant la crinière blonde,  la dégaine de chorégraphe d'Anne Teresa De Keersmaeker et la bouche à damner n'importe quel agneau mystique.


«Quelle fut mon plus extraordinaire premier baiser?» se demande alors Paul, les sourcils en accent circonflexe.  Il s'ébroue, se gratte la tempe gauche, allume «pshiiiiiit» une clope bien blonde.  La nicotine lui donne de la profondeur.  Comme la bière Gruut, bien ambrée au soleil de Gent! 


Alors, malgré les années, malgré les mois et les jours et les minutes et les secondes, Paul se rappelle avec une précision parfaite, celui partagé... avec Helena...

«Parce que tu étais si pure, Helena, avec tes yeux de petit chien et tes lèvres toutes roses.  Parce que tu riais tout bêtement aux étoiles avec tes copines et avec ta provocante grâce de jeune fille.  Parce que tu étais libre dans chaque petite parcelle de ton magnifique revêtement cutané, de ton menton alors intact à tes deux pieds trop arqués, jamais personne ne m'a autant donné envie d'embrasser...  Le problème avec toi, Helena, ce n'est pas seulement que j'ai eu tout de suite une envie monstrueuse de t'embrasser, c'est que jamais personne n'a autant aimé que toi se faire embrasser, interminablement se noyer dans la bouche de l'autre!»  

Paul glisse son index droit sur le contour de sa lèvre supérieure.  Appuie plus fort le long de sa lèvre inférieure.  Pointe sa langue sur son doigt pour vérifier sa consistance.  Frotte doucement son menton pour s'en rappeler l'existence. 

«Alors j'ai su que je ne pourrais JAMAIS faire sans toi et ton ardeur... Comme la promesse d'un quotidien savoureux et délicieux, pour traverser les emmerdes de la vies... Bah! Sans doute n'est-ce pas le critère premier pour choisir sa femme!  Encore faut-il qu'elle sois généreuse et bienveillante et aimante et drôle... oui, peut-être... mais le premier baiser partagé, goûté, éternisé, c'est vraiment lui qui marque l'amour... ou le désamour....» songe Paul, dans une certaine forme de ravissement.

La longue fille flamande aux superbes jambes sourit.  Sa bouche est grande et ses dents très blanches.  Elle lève sa main droite comme dans un ballet, tournoie sur elle-même, sa jolie robe fuchsia voletant en corolle de coton claire dans la fin d'après-midi de Gand.  Elle ondule méthodiquement les hanches.  Une à droite.  L'autre à gauche. « Gauche, droite, droite, gauche.»  La belle Flamande danse sans vergogne le long des canaux à la rencontre de son amoureux.

Paul entend chacune des consonnes et des voyelles qui, prononcées avec une absolue langueur, soufflent jusqu'à ses oreilles encore plus de goût pour le bonheur.

Encore plus de goût pour les baisers...

«...geef me een kus, my Love, mijn lieveling...»






 

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