samedi 21 septembre 2013

Une infirmière de famille pour tous


Une infirmière de famille pour tous



Renée Laberge, médecin de famille, CLSC Basse-Ville-Limoilou


Fufu, 2013

 État de la situation

Chacun, nous rêvons à la possibilité d'un médecin de famille pour tous.

Que ce soit le patient ne sachant vers qui se tourner lorsque les problèmes de santé se pointent au bout de son nez bien enchifrené.  Que ce soit celui qui se voit refuser l'accès à son sans rendez-vous du coin parce qu'il n'est pas inscrit sur la nébuleuse liste des privilégiés.  Que ce soit celui qui a été vu mais très rapidement laissé sans suivi après une consultation à l'urgence ou à n'importe quel sans rendez-vous du Québec et même parfois après une hospitalisation.  Que ce soit le patient nouvellement orphelin, laissé sans suivi par le médecin retraité qui n'a pas de relève.   Que ce soit celui qui a un véritable médecin de famille, en chair et en os, mais qui n'y a pas accès, ne pouvant pas le voir avant de longs mois et-ou ne pouvant lui parler ou lui laisser de messages téléphoniques.  Ou encore celui qui, lors du bref rendez-vous tant espéré, peut à peine placer un mot, être entendu, rassuré, son médecin allant à l'essentiel, débordé par mille et une choses à faire et mille et une personnes à voir.
Que ce soit encore l'infirmière, qui travaille jour après jour à aider ses patients et à leur offrir le meilleur service, sans ressource immédiate pour les référer et avec un pouvoir professionnel limité.  Que ce soit le médecin de famille lui-même, souvent dépassé par la tâche et par la quantité de patients qui n'ont pas de médecins, ne pouvant plus assumer seul la lourdeur des cas et des problèmes de santé.  Que ce soit le spécialiste, qui une fois son travail fait, doit parfois assurer un suivi dont il ne devrait pourtant pas faire les frais.
Que ce soit le gouvernement, enfin, qui cherche à améliorer son système de santé pour le rendre plus performant et mieux adapté aux demandes des malades, tous, tous nous rêvons à cette possibilité.  À cette quête.  À cet idéal.

Un médecin de famille pour TOUS!!!!

Dans les dernières années, le problème a été maintes et maintes fois souligné dans l'actualité québécoise.   Pourtant, la liste des patients orphelins s'en va grandissante et la pression augmente sur le système de santé avec le départ à la retraite d'une frange importante des médecins baby-boomers, le vieillissement de la population et l'augmentation significative des maladies chroniques.
Invariablement, les efforts logistiques se sont tournés vers l'organisation d'un système où chacun pourra avoir accès à un médecin de famille.  Dans la foulée, nous avons créé les GMF (groupes de médecine familiale) où une équipe complète de médecins épaulés par des infirmières dans l'aide au triage et aux suivis médicaux, assume davantage de clientèle et d'heures d'ouverture du sans rendez-vous.  De plus, la venue d'infirmières cliniciennes, ou IPS (infirmières praticiennes spécialisées) formées depuis quelques années dans nos universités et ayant des pouvoirs cliniques élargis (soit ordonnance d'examens sanguins ou radiologiques et prescription et represcription de certains médicaments) nous avait donné l'espoir d'une amélioration dans l'accès aux soins.
Pourtant, le système médical québécois, malgré ses forces et la bonne volonté de la plupart de ses intervenants, n'offre toujours pas ce que nous espérons.  Qu'est-ce qui ne fonctionne pas dans ce système? Et pourquoi?

Et si nous ne nous posions pas la bonne question?

Sommes-nous vraiment une société à ce point médicalisée que chaque citoyen doit absolument avoir son propre médecin attitré?  Et avoir accès à un médecin dès la première ligne?

Avons-nous besoin d'un tel luxe?

Est-ce qu'aujourd'hui le patient consulte toujours le professionnel qui va répondre le mieux à ses besoins, et au moindre coût?

Est-ce que le meilleur accès à la première ligne et a certains suivis médicaux doit nécessairement être assuré par un médecin?
 

Proposition

Je suis moi-même un médecin de famille oeuvrant depuis près de 20 ans en première ligne, et ce en milieu défavorisé.  J'assiste assez impuissante à cette réalité et j'ai trop souvent le coeur heurté quand je rencontre ces patients orphelins, généralement très vulnérables, mal pris, malades, à qui je ne sais pas quoi répondre quand il s'agit de prise en charge de leur problème de santé et avec qui je n'arrive pas à organiser des soins et des services vraiment adéquats, diligents, humains et efficaces.

Devant cet état de fait, j'ai été interpellée récemment par un article de Michel Dongois, paru dans l'Actualité médicale du mois d'août 2013, concernant une étude du CERIUM2 sur le modèle scandinave.  Il nous renseigne sur quelques éléments qui semblent  au centre d'un meilleur accès à la première ligne en Suède et qui tournent autour de la formule «0-7».

«0» pour zéro attente en ce qui concerne le premier contact avec le système de santé puisque le patient rencontre une infirmière dès le premier jour.

«7» pour sept jours maximum avant de rencontrer, si nécessaire, un médecin généraliste.

Les infirmières y assument donc l'essentiel du service de toute première ligne et elles sont donc devenues ces spécialistes de la santé, habiletés à le faire.

Si sur le plan médical, donner plus de pouvoir aux infirmières est possible en Suède et que cela semble clairement faire partie de la solution, pourquoi cela ne serait-il pas possible ici?  Serait-ce parce que nos infirmières sont moins bonnes ou moins bien formées?  Évidemment non!  Au contraire, elles sont parmi les mieux formées au monde! Une fois le patient évalué par l'infirmière et traité dans la mesure des pouvoirs et des compétences accordées à celle-ci, ce patient pourra être référé soit immédiatement à l'urgence, soit à un médecin de famille dans les sept jours.  Sans oublier la possibilité pour ces mêmes infirmières de devenir l'intervenant-pivot dans le suivi médical du patient.


Je pense, par ailleurs, qu'il est utile de citer ici cet extrait de l'article évoqué plus haut: «quant aux médecins suédois, ils sont plus nombreux, nettement moins payés qu’ici au Québec (le paiement à l’acte a changé pour la capitation), avec de bonnes conditions de travail. Pas de piédestal pour eux, note la Dre Raynault.  Les Scandinaves valorisent la science plus que le statut social». Plus clair que ça, tu meurs...

Conclusion

Et si nous n'avions pas vraiment besoin d'un médecin de famille pour tous?

Nous avons définitivement besoin d'une première ligne plus robuste, avec plus de ressources et plus de gens qui s'y consacrent. On pourra rétorquer que nous n'avons pas l'argent pour payer cette augmentation du nombre d'infirmières.  Disons seulement à ce propos qu'une meilleure distribution de l'enveloppe budgétaire globale de la santé pourrait être envisagée, ce qui signifiera évidemment un effort de chacun...

Nous pourrions mettre enfin les infirmières (IPS, infirmières certifiées ou infirmières auxiliaires) au coeur de la première ligne de nos soins de santé et au coeur des interventions de plusieurs suivis médicaux, positionnant davantage les médecins omnipraticiens dans un rôle de consultant plus spécialisé, intégrés à une équipe.  Les infirmières sont des professionnelles de haut niveau,  ayant des connaissances et une formation pertinente pour ce genre d'intervention.  Elles le montrent déjà.
À nous, les médecins, de leur laisser enfin leur véritable place, d'apprendre à déléguer adéquatement et à accepter de partager les pouvoirs médicaux.  À nous, Québécois, d'avoir l'originalité de créer un modèle de santé différent, efficace et  plus adapté à nos réels besoins et à nos véritables ressources.

Alors, à quand cette INFIRMIÈRE DE FAMILLE  pour TOUS?



















dimanche 18 août 2013

Donne-moi un baiser

Pour la grande, belle et romanesque famille belge de D.
Et pour K., qui comprendra...



«Moi, je préfère les lilas mauves aux lilas blancs.  Parce que mauve, ça rime avec love et que love, c'est amour en anglais.»


Pitje Schramouille, poète marollien, de Bruxelles.


 


DONNE-MOI UN BAISER
GEEF ME EEN KUS

 

1-

Paul n'a plus fait l'amour depuis 15 mois.  Pour une femme, 15 mois, 450 jours et plus encore de minutes, c'est une simple question de numéro.  Pour un homme, c'est potentiellement interminable et explosif.  Pour Paul, le pauvre gynécologue en chagrin d'amour, c'est la longue traversée de son désert intérieur.  Et extérieur.  
Parce qu'un corps, ça se huile.  Ça s'entretient.  Ça  s'empoigne et se dépoigne.  Ça s'use et s'amuse.  Ça bouge et se repose.  Et qu'un corps-à-corps, c'est divin et profond.  Parce qu'un corps c'est fait pour le bonheur et l'amitié.  Mais surtout pour l'amour.   Et n'empêche que de tout temps, en mois, en jours, en minutes comme en secondes, ce que Paul a toujours préféré, ce sont les baisers. 

Et plus encore, le tout premier baiser. 

Ce premier baiser qui une fois en marche, dans l'ivresse absolue du partage, ne veut surtout plus jamais s'arrêter, animé par son énergie propre. Dévorante.
Pourtant, tout feu tout flamme, ces interminables bouche-à-bouche laisseront quelques marques disgracieuses.   Le menton de madame ressemblera davantage à un terrain de démineurs, en lambeaux galeux, qu'à un jardin de roses. Elle révèlera alors son lamentable profil de grand-brûlé à l'embrasseur, généralement embarrassé.  Monsieur frottera sa barbe rêche de la main gauche «Grichgrichgrichhhhh» et l'embrassera de plus belle pour s'en faire pardonner.

Avis aux intéressés. 
Ceci est une GRAVE ERREUR conduisant à un désastre dermatologique aigu!
Paroles de Docteur. 
 2-
Paul, de passage en Belgique après la régate en Hollande (voir le blog «Hellevoetlsluis») et avant le retour au pays, se dit justement que la toute nouvelle reine Mathilde a sans doute souffert, plus qu'il est acceptable, de la pilosité toute royale du roi Philippe.  Mathilde possède très exactement ce petit teint belge de porcelaine, qui rend les lendemains très difficiles.  Pas l'ombre d'une de ces photos toutefois dans la presse, en ce jour du couronnement où la souveraine ne laisse vraiment rien deviner de ses soucis cutanés.
Paul, quant à lui indifférent et septique devant les fêtes royales, se demande plutôt s'il préférerait partager un nouveau premier baiser en Flandres ou en Wallonie.  En français ou en flamand.  À Bruxelles, à Bruges, à Ostende ou au Coq.
 
À Namur, dans les Ardennes belges, à Liège ou à Arlon.   Paul se gratte la tempe droite.  Éternue par deux fois.  Allume une cigarette, puis une deuxième.  Avale tout dru une gorgée de Leffe.  Détaille la carte de la Belgique devant lui.  «Bon et puis merde.... je choisis au hasard, la chance!» se dit-il, fermant les yeux et lançant l'index de sa main droite sur la table. «Ce sera donc Gand.  Et la Flandre!  Vlaanderen! »
Gand.  
Gent, la très romantique.
 
 3-

Paul a vu la bicyclette en premier.  Puis les jambes.  Longues.  Des collants opaques vert-pomme.  Une robe courte et fuchsia, avec le vert-pomme, ça détonne mais c'est pour faire voler la tête.  À Gand, les jambons pendent dans les arcades des marchés.  Les souliers volent dans le ciel.  Les fesses ont de l'esprit.  Les cuisses sont culturelles.  Les ventres, écologiques.  Les corps se huilent et s'entretiennent à grands coups de pédales, de jolis canaux et de saules-pleureurs. 

 

«Ah putain! Mais pourquoi je rencontre cette femme de rêve dans ce foutu pays flamand dont je ne parle pas un TRAÎTRE mot.  Pas de Bonjour, pas de Bonsoir, pas de Bon matin, pas de Habitez-vous toujours chez votre mère ni de Voulez-vous danser avec moi, ce soir!  Je suis CUIT!!!!!!» se dit Paul, à nouveau liquéfié devant la crinière blonde,  la dégaine de chorégraphe d'Anne Teresa De Keersmaeker et la bouche à damner n'importe quel agneau mystique.


«Quelle fut mon plus extraordinaire premier baiser?» se demande alors Paul, les sourcils en accent circonflexe.  Il s'ébroue, se gratte la tempe gauche, allume «pshiiiiiit» une clope bien blonde.  La nicotine lui donne de la profondeur.  Comme la bière Gruut, bien ambrée au soleil de Gent! 


Alors, malgré les années, malgré les mois et les jours et les minutes et les secondes, Paul se rappelle avec une précision parfaite, celui partagé... avec Helena...

«Parce que tu étais si pure, Helena, avec tes yeux de petit chien et tes lèvres toutes roses.  Parce que tu riais tout bêtement aux étoiles avec tes copines et avec ta provocante grâce de jeune fille.  Parce que tu étais libre dans chaque petite parcelle de ton magnifique revêtement cutané, de ton menton alors intact à tes deux pieds trop arqués, jamais personne ne m'a autant donné envie d'embrasser...  Le problème avec toi, Helena, ce n'est pas seulement que j'ai eu tout de suite une envie monstrueuse de t'embrasser, c'est que jamais personne n'a autant aimé que toi se faire embrasser, interminablement se noyer dans la bouche de l'autre!»  

Paul glisse son index droit sur le contour de sa lèvre supérieure.  Appuie plus fort le long de sa lèvre inférieure.  Pointe sa langue sur son doigt pour vérifier sa consistance.  Frotte doucement son menton pour s'en rappeler l'existence. 

«Alors j'ai su que je ne pourrais JAMAIS faire sans toi et ton ardeur... Comme la promesse d'un quotidien savoureux et délicieux, pour traverser les emmerdes de la vies... Bah! Sans doute n'est-ce pas le critère premier pour choisir sa femme!  Encore faut-il qu'elle sois généreuse et bienveillante et aimante et drôle... oui, peut-être... mais le premier baiser partagé, goûté, éternisé, c'est vraiment lui qui marque l'amour... ou le désamour....» songe Paul, dans une certaine forme de ravissement.

La longue fille flamande aux superbes jambes sourit.  Sa bouche est grande et ses dents très blanches.  Elle lève sa main droite comme dans un ballet, tournoie sur elle-même, sa jolie robe fuchsia voletant en corolle de coton claire dans la fin d'après-midi de Gand.  Elle ondule méthodiquement les hanches.  Une à droite.  L'autre à gauche. « Gauche, droite, droite, gauche.»  La belle Flamande danse sans vergogne le long des canaux à la rencontre de son amoureux.

Paul entend chacune des consonnes et des voyelles qui, prononcées avec une absolue langueur, soufflent jusqu'à ses oreilles encore plus de goût pour le bonheur.

Encore plus de goût pour les baisers...

«...geef me een kus, my Love, mijn lieveling...»






 

vendredi 2 août 2013

Hellevoetsluis

Pour N., notre capitaine


Hellevoetsluis



«Hellevoetsluis est un ancien port militaire des Pays-Bas sur l'île de Voorne-Putten, en Hollande-Méridionale. La commune compte 39 714 habitants et a une superficie 46,11 de km² (dont 14,22 km² d'eau). Situé à l'embouchure de la Meuse et du Rhin, le petit port de Hellevoetsluis est choisi au XVIIe siècle pour abriter la flotte de l'amirauté de la Meuse.»

Wikipédia, juillet 2013

«Un homme, ça peut être détruit mais pas vaincu.»

Le vieil homme et la mer, Ernest Hemingway, 1952


 

1.

La  Miss Frost du dernier roman de John Irving a réussi à émoustiller Paul, aisément émoustillable il faut bien en convenir, mais tout de même épuisé par une lourde journée de travail où les femmes n'ont pas su épargner les oreilles et la sensibilité de leur gynécologue. 
-Un gynécologue n'est pas un psychologue vous savez, Mme F.  Peut-être devriez-vous songer à vous tourner vers un spécialiste de cet ordre pour arriver à régler vos problèmes de vaginisme aigu.
-Non Mme T., en aucun cas je ne pourrai souper au restaurant avec vous ce soir, notre code de déontologie nous l'interdit formellement, vous le savez bien...  Oui, vous vous sentez seule et mal aimée, mais vous savez bien que je ne suis que votre gynécologue... 

Bien avant de savoir que Miss Frost risquait de décongeler ce qui pouvait rester de froid dans les corps caverno-spongieux du sexe de Paul, la couverture du livre dans la vitrine de la librairie du coin l'avait interpellé.


Combien de fois Paul avait-il eu la chance d'observer ce simple geste?

Ces deux mains, parfois délicates et graciles, parfois raides et noueuses, les mains des femmes qui attachent leur soutien-gorge.  Ce geste séculaire et planétaire, ce simple mouvement en ciseaux de deux mains de femme, moulées dans le creux précis des omoplates, ces deux petits os saillants, tels des ailes d'ange ou d'oiseaux sauvages.  

Combien de fois Paul s'était-il réconcilié avec sa profession, devinant derrière les paravents ce geste inlassablement répété, intemporel et si suavement délicat? Si purement érotique?

Visiblement Paul n'était pas le seul à s'émouvoir du dos des femmes et de la déclinaison infinie de leur soutien-gorge.
John Irving y était passé. 
Et d'autres s'y perderont sans doute... 

2.

- Salut Paul!  Comment vas-tu? Ça fait fichûment longtemps que je ne t'ai plus vu.  Tu étais parti en  Europe, paraît-il, ces derniers mois? Dis-moi, je me cherche désespérément un équipage pour une régate de vieux gréements en Hollande.  Je me suis dit que tu en aurais peut-être envie, étant donné ton divorce... enfin... sans Helena, peut-être es-tu plus libre d'organiser tes vacances à la dernière minute? lui demande Raoul, un vieux loup-de-mer connu autrefois. La femme de Raoul travaillait avec Helena et plusieurs fois les deux couples avaient partagé de merveilleux moments de voile.
-Bah... Pourquoi pas Raoul!  Je n'avais vraiment rien de prévu.  Ton invitation me tente assez... répond Paul, attiré par le projet plutôt que par la perspective du néant de ses propres vacances estivales en solitaire.

Il peut être si facile pour un homme de se perdre dans la contemplation pure des omoplates d'une femme, mais tout aussi facile pour les marins de se perdre dans la passion absolue de la mer, du vent, de l'écume.  Leur bateau se transforme trop souvent en de difficiles maîtresses et il n'est pas rare que leur femme de chaire s'enfuit, l'écume bien spumeuse à la bouche. Et les marins sont alors livrés corps et âme à leur unique obsession.  Raoul est de ceux-là.  Isabelle l'a quitté il y a huit ans. 
Et étonnamment, jamais Paul ne l'a entendu s'en plaindre...

3.

Raoul n'avait pas pris soin de souligner que le troisième membre de l'équipage, formé à la va-vite, était une femme.  En entrant dans le bateau de Raoul, le Tyfoon tout pimpant et rafistolé pour l'occasion, Paul ouvre grand ses deux globes oculaires, les sourcils en accent circonflexe, croyant deviner dans la masse inanimée à gilet rayé bleu et blanc, une silhouette féminine, sans l'ombre d'un soutien-gorge.


-Je te présente Clara! Une vraie championne des régates et une véritable louve des mers, qui ne ressent essentiellement que le mal de terre... dit Raoul.

-Arrête ton char, Raoul! Salut! Moi c'est Clara! Et toi?
-Ppppau...Paul... enchanté... bégaie Paul en tendant la main droite, devant le teint d'olive chaud et les yeux gris foncé de Clara.
-Allez l'équipage, nous partons, il est tôt, nous aurons la journée pour arriver, les courants sont favorables, pas d'orage en perspective, à vos positions!!!!!! lance le capitaine, avec dans la voix cette excitation si particulière des marins qui prennent enfin le large.  
-Dès que je sens les vagues frapper la proue, dès que j'entends la mélodie du vent dans la grand voile, dès que je dépose mon regard sur l'horizon bleuté, je laisse tous mes soucis à terre et je deviens légère, légère... légère comme les sternes au dessus de notre tête... souffle Clara dans le tympan externe de l'oreille droite de Paul.




Paul ne peut s'empêcher de se demander si Clara est la maîtresse de Raoul.  Et ce qui les unit ou les désunit véritablement. Clara est si visiblement un oiseau sauvage dont chacune des omoplates frémissent au moindre vent, à tribord comme à bâbord.  Un oiseau si sensiblement blessé qui, sous les armures de la liberté, attise instantanément la tendresse des hommes.  

Est-ce que Raoul en était vraiment dupe?

Qu'est-ce qui avait véritablement amené Clara à bord du Tyfoon?

 4.


Paul n'avait jamais mis les pieds en Hollande.  Encore moins ses palmes.  Ce qui aurait l'heur sans doute d'être beaucoup plus pratique étant donné la configuration si marine de ce petit bout de pays où toutes les idées, les innovations, les cerveaux sont concentrés sur les façons de contenir la mer.  La maîtriser, en quelque sorte.  La dompter.  De barrages anti-tempête en digues.  De digues en écluses. D'écluses à celle d'Hellevoetsluis.
«Je maintiendrai», selon la devise des Pays-Bas.
Les bras du delta de Zéelande enlace la Meuse, l'Escaut et le Rhin et donne sur le gris si foncé de la Mer du Nord.  Ce même gris troublé, niché au fond des prunelles de Clara.  Les mêmes bras que Paul s'empêche d'ouvrir pour entendre le coeur de Clara battre plus près du sien.
-On se réunit tous à Willemstad, mes potes, pour commencer la première régate vers Hellevoetsluis.  On se prend tous un pot ensemble, ou plusieurs si vous préférez!!!  Prépare ton foie docteur Paul, il aura besoin de tonique pour les prochains jours! rigole Raoul, sa casquette de laine bleu foncé voilant ses sourcils broussailleux.



Paul n'est pas très sûr que les marins soient vraiment des hommes.  Sans doute sont-ils des hommes singuliers.  De ces hommes qui préfèrent la compagnie des embruns à celle des femmes.
Nulle femme au bassin de Willemstad.  Clara, seule. Petite mais grande, dressée comme un capitaine sur la proue du Tyfoon, fière et déterminée devant le spectacle de la Mer du Nord.  Et celui de tous ces marins réunis par leur passion commune, monologuant entre-eux à plus soif à propos de leur bateau, ses limites, ses forces, ses exigences, ses possibilités de gagner la régate, ses handicaps, ses couleurs et ses rêves.


Paul les écoute d'une oreille distraite, tout à l'observation minutieuse de Clara. Elle est coupée du reste de la troupe et concentrée sur la réparation du moteur qui vient tout juste de hoqueter lamentablement entre les mains de Raoul.
-T'inquiète Raoul.  Je te le répare, ton moteur.  Ce doit être le filtre qui s'est embourbé à nouveau de boue microbienne.  Je suis pas docteure, mais les microbes des filtres à moteur,  ça me connaît... On sera top-prêts pour la course de demain, sois sans crainte... sourit Clara, un regard en coin vers Paul, admiratif.

5.

 «Tuuuuuuuut Tuuuuuuuuuuut!!!!» claironne la trompette pour lancer le départ de la régate.  Le temps est clair.  Chaud.  34 degrés.  Aucun cumulo-nimbus à l'horizon.  Le vent force à deux, trois.  Ni trop, ni trop peu.  Les conditions sont idéales et Clara danse sur le pont du voilier, choquant la grand voile sous un coup de vent, bordant le génois dans les accalmies.   Rapide, précise, gracieuse.
Paul fait piètre figure.  Mélangeant les cordes et les noeuds.  Sans mémoire des procédures. Le mal de coeur au bord des lèvres, le whisky d'hier affluant dangereusement en vulgaire reflux gastrique acido-bilieux.
-Ça va Paul?  Tu tiens le coup? se moque Raoul entre deux manoeuvres pour accélérer le tempo et gratter le concurrent le plus immédiat. 
-Ça va.... répond pitoyablement Paul, essayant tant bien que mal de conserver le cap, un véritable mal de mer dans l'estomac malgré la dose massive d'anti-nauséeux.
-Tu te serais pas trompé de pilules docteur? lance Raoul, hilare et frénétique sous l'adrénaline de la régate.


Clara ne bronche pas.  Toute entière à la régate.  Ses pommettes rougissent et ses prunelles s'allument.  Clara est une autre.  Mais elle est tout, sauf un enfer.  Entre deux borborygmes, Paul observe cette femme silencieuse se transformer en un mystérieux personnage marin.  Devenir mi-sterne et mi-alizé, mi-vague ou mi-sirène.  Observe celle qui sait tout entendre, tout voir, tout sentir sur la mer pour parvenir à maîtriser ce bateau.  Clara semble précisément s'envoler dans la course, à peine différente des voiliers qui les entourent.
«Pouffffff...pouffffff...poufffffff...»
La musique assourdissante des bateaux en course masque les paroles que Paul, de toute façon, ne pourrait pas lui dire.
Les mots que Paul meurt pourtant d'envie de lui dire...

6.


-Bravo moussaillons!!! Nous avons terminé deuxième sur quinze dans notre catégorie.  Demain, on sera les premiers, hein Clara? Paul, tu prendras triple dose de médicaments... sourit Raoul, au retour des résultats annoncés sous la grande tente à l'embouchure du port.


-Nous devons défier notre numéro!  Ils nous ont donné le 100 mais on tentera de lui enlever quelques zéros, je suis assez d"accord!  répond Clara, occupée à ranger méticuleusement les amarres et les bouées et à nettoyer les ponts à l'eau claire.  Paul est déjà affalé sur le cockpit, la mort au corps, vanné par cette longue journée au soleil à combattre les nausées.

On pourrait définitivement comparer ces moments de retour de régate au grand calme après les tempêtes.  Tous ces hommes, absolument fébriles dans le départ, semblent maintenant contentés par le retour.   Et la bière.  Et le vin.  Et les rires et les discussions interminables sur leurs fichus bateaux.
Tous semblent apaisés, soudainement nonchalants.
Tous. Sauf Clara.
Clara qui prend la fuite dans sa soudaine absence.  Qui se ferme et devient blême, pâle, presque transparente.  Clara qui transperce de son regard intraduisible le coeur amoché de Paul.


Tout doucement, sans faire tellement de bruit, la nuit tombe sur Hellevoetsluis.  Le grand phare n'éclaire rien, rien qu'une parcelle de ce grand n'importe quoi qu'est ce foutoir de monde.  Ce foutoir rosé qui sait toutefois étreindre même les plus forts.

-Est-ce que tu sais, Paul, que Hellevoetsluis, ça veut dire l'Écluse du pied de l'enfer? lui chuchote Clara, assise seule sur la plage, évitant les autres marins amarrés au port.
-Est-ce que tu sais, Clara, que ta tristesse te perce la peau? lui répond Paul.
-Peut-être n'y a-t-il que toi, Paul, pour le voir et me lire?  Tu es vraiment nul à la voile, mais tu as l'art maudit de voir les âmes. Les pieds de l'enfer, je les ai connus... et puisque tu es un homme bon, je vais te le dire, à toi.  A toi seul, puisque Raoul le sait déjà.  Il a été le seul à savoir comment ne pas me parler, alors... dit-elle d'une voix de plus en plus rauque, atone, presque muette.
- Il y a deux ans, précisément aujourd'hui, mon mari adoré et mon merveilleux Jules de 14 mois sont morts dans un accident d'auto... souffle Clara, dans un filet de voix, des larmes amères envahissant ses yeux, sa bouche, sa gorge.  Coulant avec tant de retenue entre ses paumes crispées.

Paul ne dit rien.  Accroupi devant celle qui est emmurée dans sa douleur, il dépose sa main chaude sur son épaule droite.
Paul pleure auprès de Clara et de la lune et de la mer.
Et Paul se rappelle qu'un homme, ça peut être détruit, mais jamais vaincu...










 



 


mercredi 26 juin 2013

Les six mules n'étaient pas si noires

Lettre 35

Pour V. mon unique fille très adorée


Chère I.

«On ne va jamais aussi loin que lorsqu'on ne sait pas où on va.»

Christophe Colomb (1451-1506)

«We do not see things as they are.  We see them as we are.»

Anais Nin


Au 6, rue de la Mule Noire
 

1.

Alors voilà! 

C'en est fait de la Mule Noire.  De ces six mois, déclinés en six mules, au six de la dite rue.  
Cela avait été si beau de le dire.  De l'écrire.  De le penser.  De le fantasmer.  
Ce ne sera bientôt plus qu'un souvenir pour Paul.  Le souvenir de six mules noires.  Et de tout le reste...
«Oh putain! j'ai tellement de choses à ranger, je n'y arriverai pas tout seul!» se décourage Paul, avec un véritable mal de tête de mule.  Un mal de crâne sans beaucoup de cheveux.  Une brûlure  céphalo-rachidienne de tout son système limbique.
«Je broie du nwouèrrrrr, quoi!!!!» pense-t-il, exhalant les volutes de la cigarette blonde qu'il n'a jamais pu cesser d'étreindre, au coin de la grande fenêtre du salon, avachi sur son fauteuil Louis XV préféré.  Là où il a tant rêvé les étreintes d'une autre...  


Il y avait eu le roman Trois jours chez ma mère goncourtisé en 2005, de François Weyergans.  Il y aura peut-être la saga Six mois chez les mules noires sans l'ombre d'un prix 2013, de Paul le gynécologue déprimé?


L'heure est-elle au bilan pour Paul?

En quoi les six mules noires auront-elles modifié la destinée de Paul, l'amoureux délaissé? Le père d'un fils unique? Le maître inconstant d'un chien inclassable?


2.

La journée avance trop vite.  La lumière du matin a fait place à celle toute crue de l'après-midi.   Paul a pris sa noisette en terrasse au Forbin, lu Le Monde.  Bernard Tapie est en garde à vue.  Mandela se meurt.  Berlusconi est un véritable couillon qui ira en prison.  Un nouveau machabbée a été retrouvé à Marseille, transpercé par les balles d'une kalachnikov.  Le chômage en France ne s'améliore pas et l'horrible guerre en Syrie ne semble plus vouloir finir.  Paul se gratte la tempe gauche.  S'ébroue les cheveux.  Se frotte les mains moites.  Mord sa lèvre inférieure de ses deux incisives en forme de maxillaires de lapin.
Paul se demande si un lapin c'est plus joli qu'une mule noire, quand pourtant le monde est si ostensiblement en désarroi.

Paul se trouve nul.  Parce qu'à la détresse du monde, il ne répond que par l'émotion de son départ.
Parce que, malgré les six mois à Aix-en-Provence, malgré les voyages et les rencontres, malgré le temps qui a passé un peu, tricotant une forme de distance d'avec Helena, Paul ne sait pas davantage où il va.
Alors il observe, en fumant ses clopes, blondes comme Helena, les mules noires vertigineuses des passantes et la dentelle d'ombre que dessine le soleil sur leur peau douce.



3.

«Allez Paul! Magne-toi un peu le popotin!» se dit-il, s'efforçant de sortir de ses rêveries.
«C'est certain que c'est mieux une vie structurée avec une ligne du temps cohérente.   Un début, un milieu, une fin et une direction, un but, une transformation, un sens à l'oeuvre de sa vie! Et merde... moi je ne suis capable que de digressions, de chemins de travers, d'incohérences, de vagues chassés-croisés et de fins en queue-de-poisson...» pense-t-il en passant à l'eau savonneuse les tommettes de l'appartement. 


Paul a tellement aimé ses tommettes.  S'y promener pieds nus dans la chaleur torride du nouvel été.  Sentir la fraîcheur sans fin sous l'arche des pieds à la sortie du bain, sans faire tellement de bruit, sans aucun craquement de bois ni fausse note.  Comme si son corps avait enfin du poids sur le sol très solide des tommettes.  Paul en a aimé l'harmonie des ocres rouges.
«C'est bien beau les tommettes, mais quels livres vais-je ramener avec moi? C'est lourd des livres dans une valise, non? Et mes disques, et mes films?  J'aurais vraiment dû y penser avant...» 

Est-ce que l'art peut donner du sens à la vie des hommes? 

Est-ce que Paul a été transformé par ses lectures et ses films et sa musique?



 
4.

«Je marche nue... les pieds nus... les jambes nues... les bras nus... Suuuuur la laguuuune...» chante Barbara Carlotti, au pied du lit de Paul.  
«Nue, nue!  Y a pas une seule femme qui sera venue dormir ici avec moi! Pour un gynécologue et pour un prétendu tombeur, c'est raté!!!» marmonne-t-il à sa guitare rose, couchée sous la toile de Jouy aux petits personnages champêtres.  
Dallas.  
Sa belle guitare aux hanches rondes et évasées qu'il aura beaucoup grattée, un air des Rolling Stones derrière ses cravates de soie de docteur.  Entre Dallas et Helena, et malgré ses nombreux emportements affectifs, Paul garde dans son corps l'empreinte unique de sa femme.  De sa future ex-femme.  Paul n'aura pas eu le courage de ses fantasmes, laissant sa lymphe et son sang dans les frontières du connu.  Du passé.  Du souvenir...
«Ça manque terriblement de testostérone ton truc, mon pauvre Paul! La prochaine sera unique aussi! C'est un peu ça la beauté de la chose!  Si unique mais à la fois si nouvelle!  » ne peut s'empêcher de souffler l'auteure. «C'est pas parce que que tu es à l'aube de tes 50 ans que ton chien est mort!»
«R-É-V-E-I-L-L-E!!!!!!»


Paul s'est souvent dit que faire l'amour dans une telle chambre devait permettre aux âmes de circuler autour des corps amoureux enlacés.  
Devait souffler de l'air frais au travers les mailles de l'amour...

Paul aurait-il vu différemment sa chambre à coucher s'il avait été amoureux?


5.

«Oui, oui, Mme L., vous pouvez passer à 18:30 pour faire l'inventaire de l'appartement avant mon départ...  oui, c'est vrai que Hollande manque de vision de gauche et que, malgré tout, il faut bien qu'il fasse des compromis, la politique c'est jamais tellement pur vous savez, Mme L...., ben oui, même les communistes sont malhonnêtes...oui, oui, les politiques, ils sont comme de vrais petits singes...»


Combien de fois Paul a-t-il observé les singes de la grande peinture du salon.  Celle qui pourrait vaguement ressembler à une oeuvre du douanier Rousseau.  Regarder les singes en se disant que vraiment, le capitalisme, l'individualisme, le sale pouvoir de l'argent, ce n'est vraiment pas une solution... 
«Pffffffffffff! C'est vraiment PAS beau tout ça!!!  C'est PAS bien!!!!»
Que pourtant lui-même était plutôt égoïste et bien aisé, en bon docteur qui ne pense surtout pas à ses fins de mois et que les médecins devraient sans doute faire un effort supplémentaire de solidarité.


Paul n'est plus très sûr d'avoir fait un effort quelconque en rêvassant à plus soif devant les murs de son appartement, ce Museum of Everything aux cigales rouge et jaunes, qui l'a laissé songeur, plus souvent qu'autrement.  Lui qui a bien pollué sa planète avec tous ses voyages en avion.  Lui qui s'est payé le luxe inouï de la fuite.  Le privilège insensé de mettre du nouveau, de la distance, de la beauté entre les échecs du passé et le futur à reconstruire. 
«J'ai tout de même payé une beurrée pour ce vieil appartement français aux fenêtres écaillées, en plein coeur d'Aix, près du Mirabeau, dans le chaos des nuits des fêtards du Splendid et des camions d'ordures... Vive les boules Quies!!!!»



Paul n'a-t-il pas lu quelque part quelque chose comme cette phrase?

De quelle façon le décor qui nous tombe dessus modifie-t-il DRAMATIQUEMENT notre expérience du voyage? De la vie en général?


En quoi les murs défraîchis vieux rose et jaune paille, les peintures éparses et le fouilli de la cuisinette auront-ils influencé l'expérience de Paul?

6.

-«Tu serais gentil, Paul, de garder Sam une dernière fois avant de partir? Je dois filer sur Paris!» lui demande C., qui semble avoir totalement oublié le baiser fougueux partagé autrefois avec lui.
Mais, disons que ça me met un peu dans la merde, je dois tout empaqueter, je pars demain très tôt...» répond-t-il embarrassé.
-«Mais tu ne le regretteras pas, voyons! Ça te fera un dernier petit tête-à-tête avec Sam... tu adoreras...» lui lance-t-elle en dévalant «clac-clac-clac» les escaliers en colimaçon du 6, rue de la mule noire, le chien déjà installé dans ses quartiers avec son regard de merlan frit.
 



Paul tire le vieux chien vers la salle de bain où il doit finaliser ses boîtes.  Sam jappe et grogne doucement, frappe de la queue sur les tommettes, semblant vouloir dire quelque chose à Paul.  Paul se retourne soudainement, les larmes aux yeux, pris par une espèce d'émotion canine.
Pourquoi je t'ai aimé comme ça, toi mon espèce de vieux chien puant?»
-«Parce que j'ai été ta voix de sagesse, Paul.  Et parce que toi, vraiment, tu en manques terriblement!»
-«Sagesse, sagesse, mon oeil! En quoi es-tu sage Mister Sam, entre tes hanches arthrosiques et tes dents pourries?»


Parce que je te permets de regarder dans la bonne direction...» en rajoute Sam, montrant de la patte le tableau au haut de la grande armoire de la salle de bain.

-«Mais oui Paul, c'est moi, l'Helena de la salle de bain!  Tu ne m'avais pas encore véritablement écoutée, tu sais! Maintenant, tu dois arrêter de te tourmenter! Tout est bien qui finit bien, Paul!  Tu peux continuer ton aventure.   Va, amuse-toi, va vers la vie... avance vers l'inconnu avec ton regard à toi.  Il est beau ton regard, Paul, même si moi, j'avais besoin de m'en éloigner...» lui souffle l'Helena de la peinture Femme blonde lisant aux seins nus.

Paul tourne ses prunelles pleines d'eau vers le grand miroir.  Il ne se voit pas.  Ni lui, ni Sam.  Autrefois il avait bien vu sa peau avachie et ses cernes hortensias.  Paul maintenant ne voit plus rien.  Rien que l'évidence d'Helena.  L'évidence d'avoir véritablement aimé sa femme.  Du mieux qu'il avait pu.  L'évidence d'en avoir aussi été véritablement aimé.  Avec beaucoup de bienveillance.
L'évidence que leur fils est un unique trésor et que son chien, plus ou moins fidèle, demeurera toujours son ami.

L'évidence que les six mules n'étaient pas si noires.

Et que cela est bien assez pour aujourd'hui...



   

FIN




La Cigale


Ps: Ohlalalala!!! Je crois que je n'aurai plus de nouvelles de Paul, ma chérie.  Je me sens triste et pour un peu, c'est moi qui serai en chagrin d'amour...