mardi 9 avril 2013

Angela

Chère I.

Lettre 23

«Il faut allier le pessimisme de l'intelligence et l'optimisme de la volonté»

Antonio Gramsci cité par Angela Davis

«Comment s'étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s'appelaient-ils? Que vous importe ? D'où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l'on sait où l'on va ?  Le maître ne disait rien, et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici bas était écrit là-haut.»
 

Jacques le fataliste, Diderot



                                                                       Free Angela and all political prisoners
                                                                        Documentaire de Shola Lynch, 2013 

«Angelo, mais pourquoi tu ne veux pas l'appeler Angelo à la fin ce bébé?» lui demanda Helena à 40 semaines et trop de jours de grossesse, col dilaté à 4 cm et pas l'ombre d'une sécrétion d'ocytocine durant ses longues nuits sans sommeil.
«Mais enfin ma chérie, ce n'est pas parce que tu es italienne que l'on doit nécessairement lui donner un nom italien à ce petit!»
«Si on lui donne ton nom, Paul, il se fera appeler Junior toute sa vie et il t'en voudra à mort à l'adolescence, ça, tu peux en être certain oh toi, mon espèce de petit coq macho que tu es au fond même si tu essaies de le cacher!»

Helena avait bien dit.  Junior lui en a voulu à mort.  Pour ça et pour bien d'autres raisons.  Et Paul était bien un mâle alpha déguisé en homme rose.


Mais Angelo, non, impossible!

C'était joli pourtant Angelo.  Helena,  encore, avait raison.  Un ange évidemment, c'est tout ce que souhaitait Paul pour son nouveau-né.  Pour ce bébé garçon qui le tuait déjà de tendresse (comme il allait plus tard le tuer de fatigue, puis d'ingratitude), chaque fois qu'il entendait son coeur trotter «papah-papah-papah-papah... » à 145 tours à la minute dans le ventre de sa mère.

Mais ce qu'elle ne savait pas c'est qu'Angelo, ça ressemblait trop à Angela.
Et qu'Angela avait été autrefois la passion de jeunesse inavouée de Paul.
Un emportement amoureux secret, unilatéral, subversif et surtout ... impossible!
Et qu'Helena n'en savait rien de rien...

Jardin secret

Aaahhhngela...



Paul avait toujours gardé cachée cette photo en noir et blanc d'Angela. «Dieu qu'elle était belle!» se dit-il en ressortant ce vieux portrait.
Angela était venue pour une année d'étude en littératures françaises et études féminines à l'université.  Ils s'étaient rencontrés sur les bancs d'un cours de création littéraire, choisi en désespoir de cause par Paul, qui ne savait plus vraiment s'il avait envie d'être docteur.  Encore moins gynécologue.
Mais chose certaine, Paul avait très envie de prendre un verre avec Angela, la belle noire américaine, qui parlait un français délicieux, délié, avec un accent qui chantait de beaux lendemains.  Mais surtout de grandes aspirations militantes.


Angela au micro ce jour-là dans le grand amphithéâtre de l'université, ne chantait pas un air de jazz mais tentait d'expliquer par le détail, l'impossible condition noire aux États-unis, dans une forme de douceur et de sourire tellement étonnants malgré la colère.


«Angela, tu es l'ange de la colère noire», avait murmuré Paul.
Il s'était gratté la tempe droite.  Frotté les mains.  Ébroué les cheveux.  Allumé une cigarette.  Puis deux.  Et était tombé amoureux....

-Paffffffffffffffffff!!!!!!!!!!!!!!-

«Mais Paûûle, tu ne peux pas juste fumer des cigarettes, lire de la poésie, regarder les filles et critiquer tes professeurs et tes collègues de la faculté de médecine devant une chope de bière! Tu dois participer à la détresse des peuples et des plus vulnérables.  Tu me donnes un peu mal au coeur parfois tu sais Paûûle!», disait-elle de sa drôle de petite voix tendre et amusée.
Comment Angela aurait-elle bien pu être séduite par Paul?  Ce dérisoire petit Paul sans envergure, sans mission, sans passion sinon la bouche et l'espace, un centimètre à peine, entre les dents d'Angela où il rêvait de glisser sa langue?


Elle avait levé avec délicatesse sa longue main, caressé la tête de Paul et puis tournoyé sur elle-même en le saluant d'un regard vaguement communiste, rivant plutôt ses prunelles noires sur sa copine en jupe rouge.
Paul se liquéfiait d'envie d'amour avec Angela.
Mais Angela, en plus d'avoir tant d'autres combats, rêvait à d'autres bras.  Plus doux que fermes.  Plus fuselés que musclés.

Angela n'aimait pas vraiment Paul, bien qu'elle flirtait doucement avec son insoutenable légèreté. Angela aimait le peuple noir, l'action, la résistance, la radicalité pesée et profonde, la justice et le travail pour tous, encore plus que le mariage.
Toutes choses dont Paul était ignare.  Involontaire.  Incapable.

Et Angela, dans son lit, préférait les femmes...

Paul le fataliste s'était alors dit qu'il ne savait pas où il allait mais que tout semblait bien tracé.  Qu'il était écrit dans le ciel qu'il ne pourrait jamais marier une femme comme Angela.  Qu'il ne lèverait jamais le poing.  Ni haut.  Ni fort.  Mais peut-être pourrait-il, enfin, garder de cet emportement amoureux inavouable un nouveau goût  pour ce qui est plus grand que lui?

Angela aura une fois encore été une révolutionnaire.  La révolutionnaire, pour cette fois discrète, de l'intime.

Et ça, personne jamais ne le saura....

«Merci Angela!»




La Cigale

Ps: Ohlala!  Comme il est facile d'être séduit par l'esthétique de la révolution plus que par le politique. 

 

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