mercredi 3 avril 2013

Le mari de ma femme

Pour R.
Et un peu aussi pour O....

Chère I.

Lettre 22

«Le seul moyen de se délivrer de la tentation, c'est d'y céder.»

Oscar Wilde

«Avec un caractère comme j'en ai un, on n'épouse pas n'importe qui.  On épouse un cocu.
C'est ce que j'ai fait.
Il ne l'était pas encore quand je l'ai épousé, mais on voyait bien qu'il était fait pour ça.  Et ça n'a pas tardé.  C'est comme moi; je n'étais pas encore veuve.  Mais il a bien vu tout de suite que j'étais faite pour être veuve.  Et ça non plus, ça n'a pas tardé.  De ce point de vue, il a été très bien.  Ça lui plaisait, à cet homme d'épouser sa veuve.  On peut même dire qu'on a été trop vite, tous les deux, ça marchait trop bien, parce que à peine il était devenu mon cocu, je suis devenue sa veuve.»

Les nouveaux diablogues, Roland Dubillard, 1988.


Évidemment, ça n'allait pas arriver.   Pas besoin d'ouvrir les guillemets.  Nul point d'exclamation ou de peut-être.  Pas de point d'interrogation et d'etcoetera.  Helena ne serait jamais la veuve de Paul après l'avoir tué!!!
Mais Paul avait bien épousé la femme qui ferait de lui un cocu.  Et un cocu malheureux, qui aimait son chien mais n'en était pas aimé en retour.

Oscar.

Parce que Wilde avait du chien et qu'Oscar avait du Wilde, cédant sans cesse à toutes les tentations.  Sans scrupule.  Sans remord.  Sans meurtre et sans reproche.  Parce qu'Oscar, après avoir détesté Helena, avait cédé à son inclinaison naturelle au masochisme et était parti avec elle.  Parce que le chien tant aimé de  Paul s'appelle Oscar et que tout le monde se fout de cette double trahison.  Sauf Richard.

Richard avait lu le Traité «Les Droits des animaux» et pouvait disserter, des heures durant, de la condition animale.  Il ne trouvait pas opportun de mépriser l'animal et lui rendait son mystère, os après os, auprès d'Oscar autant qu'auprès des pigeons, des petits moineaux, des lézards, des cigales ou des grillons.
Richard savait bien que, comme nous, «les animaux portent au monde le mystère d'une présence psychologique unifiée... Ils voient et entendent, croient et désirent, se rappellent et anticipent, dressent des plans et ont des intentions.  De plus ce qui leur arrive leur importe...»
Têtu comme un âne. Puer comme un bouc. Langue de vipère.  Richard proscrivait toute forme d'expression insultante ou dénigrante pour l'animal, dans un code de rectitude linguistique parcimonieux.  Et ne mangeait que des graines.  Sèches de préférence.


Richard est l'ami de toujours. Le seul homme que Paul connaisse qui tricote des écharpes de laine aux couleurs bigarrées, devant la télévision.  Le frère de gentillesse, comme l'appelle Paul.  Celui sur qui on peut toujours compter.  Celui qui sera toujours là.
Et en ce matin où Helena avait appris à Paul qu'elle songeait à se remarier avec G., Paul sut, aussi certainement que l'on sait qu'il y a peu de chance d'assister vivant à sa propre mort,  que seul son ami pouvait le sortir de cette incroyable méprise.
«Richard,  au secours! Je ne peux absolument pas envisager de considérer ce méprisable amant comme étant le futur mari de ma femme.  Et penser qu'ils habiteront ensemble avec MON Oscar!»
«Tu rigoles mon ami, plutôt crever! On va trouver une solution.  J'arrive illico!» 

Le problème avec Richard c'est qu'il ne voyageait pas légerRichard est contre-bassiste baroque.  C'est-à-dire qu'il est le fier possesseur d'un magnifique et énorme instrument ancien, patine de bois tendre, clés élégantes, vibrato profond.  Et qu'il ne peut s'en séparer.  Pas une minute. Pas même une seconde. 
L'autre problème est que la contre-basse de Richard, dans son grand étui noir, ressemble à s'y méprendre à un cercueil. Et que les femmes, en général,  n'aiment pas particulièrement voir les hommes se ballader avec leur cercueil.  Même enrubannés de la plus belle écharpe de laine.

Est-ce pour ça que Richard est toujours célibataire?

Sans doute.  Mais pour lui, nul meurtre, nul cocufiage et nul mari de sa femme!

 

En attendant Richard, Paul partit se recueillir d'église en église, assistant au hasard à un magnifique  choral pascal de Bach.
Richard, Dieu, Bach, Chiens, Cigales, Tricots, Diablogues; tout le monde était convié à trouver des solutions à la trahison d'Oscar et au marasme conjugal de Paul.

(Même vous, en fait...)





Richard:Tu dois la prendre par la psychologie des situations!
Paul: La situation s'annonce mal et il pleut aujourd'hui.
Richard: Et si tu lui remettais sa situation dans la psychologie?
Paul: Je crains que G. n'ait le nez au milieu de la face, la psychologie dans les talons et la situation bien en main, si tu vois ce que je veux dire.
Richard: Un manque flagrant de courtoisie!
Paul: Évidemment! Mais si sa face était dans ses talons je pourrais marcher sur ses pas...
Richard: ... et récupérer Helena oh! ah!...


Devant la perspective où la femme de Paul pourrait avoir un mari et qu'Oscar serait perdu pour Paul, les deux amis se sont trouvés passablement démunis ce soir-là dans le grand divan du 6, rue de la mule noire.  Et globalement ivres, au salon.  Mais ils étaient ensemble et cela avait l'heur, en soi, de se transformer en solution.
Sans doute Helena ne serait jamais la veuve de Paul après l'avoir tué.  Mais ce soir-là,  Richard et Paul en sont arrivés à la conclusion que ce dernier pourrait, en désespoir de cause et seulement après avoir véritablement cédé à la tentation, devenir le veuf d'Helena après en avoir été cocu...

La Cigale

Ps: Je te mets au défi, ma chérie, de diabloguer-vrai avec ton amoureux ce soir!





 



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