jeudi 17 janvier 2013

Gin Tonic

Chère I.

lettre 4




J'ai toujours voulu écrire comme Jean-Paul Dubois.  Rêvé d'avoir la force de frappe épistolaire de Woody Allen.  Maîtriser l'écriture efficace et ironique des téléséries américaines.  Rêvé de créer un maelstrom de tons, décliné en Duras, en Beauvoir, en Echenoz, en Moravia, en Beigbedder.  J'ai toujours rêvé d'écrire comme je ne sais pas écrire.
Savoir tout résumer dès la première phrase.
Un sujet.
Un verbe.
Quelque chose comme un complément.

Il neige sur cette foutue Provence et je ne m'emmerde pas.  Mon pays c'est peut-être l'hiver mais me geler les couilles que je n'ai pas dans la garrigue blanche, bingo, ça me fait une belle jambe.



Et des cigales, pas le moindre écho. Écho. Échooooooooooooooooooooooooooooooooo.........

Et je ne m'emmerde pas et je ne veux pas me fuir, aller ailleurs voir si j'y suis, me saouler aux daiquiri à 11:11 du matin, comme Hemingway,  sur la terrasse de n'importe quel café de la place  Richelme, à celle des Prêcheurs, à celle de l'Hôtel de ville.
Je ne déteste pas les sabbatiques.  Un truc de débile.  Une lubie de bourgeois en mal d'éros.  Une illusion de l'humanité bien-pensante, bien-repue, bien-sonnante, bien en chaire, bien bourrée.
Je ne déteste pas les chroniques de voyage, ces lieux communs de bonnes intentions et de bonheurs décalés.
Je ne déteste pas les guides de voyage, les lonely planets de la terre, les let's go où tu veux.




Je ne déteste pas les voyages qui forment la jeunesse que je n'ai pas.


Et je ne m'emmerde pas.   J'aurais pu prendre des photos de ce foutu appartement sous toutes ses coutures, à toutes les heures de la journée, en me levant le matin l'angoisse au ventre, échangeant mes paradigmes, un peu de salon, un peu de chambre de bain, un peu de plafond, un peu de ce Museum Of Everything sur les grands murs hauts, en couleur sépia, en couleur glacée, en palette de rétro, de pur, d'élégant, de monochrome, de dynamique, de trou d'épingle, de granularité.
J'aurais pu chercher un autre paradigme d'écriture, une autre version , un autre point de vue pour raconter.






J'aurais pu penser alors à te faire un scénario à la Truffaut.
J'aurais pu me tapper l'ensemble de l'oeuvre.  Les 400 coups, les baisers volés, Jules et Jim
et la Moreau en Beauté.  Te faire nouveau roman à la Nathalie Sarraute ou théâtre à la Tardieu.
J'aurais pu penser prendre la direction entomologique et te décrire la possibilité de la vie des insectes provençaux sous ma couette de coton blanc.
J'aurais pu penser ne t'écrire qu'en dialogues, comme la télésérie GIRLS, où mon personnage préféré est Anna, l'écrivaine ratée et trop grosse, la parfaite anti-héroïne américaine comme je les aime.  J'aurais pu penser te faire un blogue de recettes provençales tiens, tant qu'à y être. Te mélanger de l'ailloli et de l'anchoïade, de l'aspergeade ou de l'avocanaise, de la tapenade d'aubergines à la rouille de la bouillabaisse de poissons.



Et je ne m'emmerde tellement pas que je ne pense pas à devenir un autre même si c'est l'enfer.

Un autre plus tonique que moi.

Un autre plus Gin que moi.

Un autre Gin Tonic!

La Cigale

 








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