Lettre 1
Chère I.
Mon aventure
provençale commence par un transit d’une semaine à Bruxelles. Moi qui attendais avec impatience le doux
soleil si fantasmé de la Provence, me voici plongée dans un camaïeu de gris. Je ne pensais pas pouvoir imaginer tant de
différentes teintes de ce gris décliné à plus soif, du petit matin au plus
grand soir, au travers les nuits et les après-midis sans l’ombre d’un faune à
l’horizon.
Gris-perle,
gris-souris, gris-taupe, gris-bleu, gris-noir, gris de grège, gris-ardoise,
gris-tourterelle, gris-fumée, gris-vert, gris-tendre, gris-étain, gris-argent,
gris-pluie, gris-bis, gris-gris,
gris,
gris,
gris …
J’Imagine K. inspirée par cette couleur tertiaire,
ce savant mélange de rouge, de bleu, d’hortensia avec un peu de blanc par ci,
par là, et créer dans ses bacs de teinture des étoles de gris lumineux qui
enrouleraient nos visages bruxellois.
Je ne sais pas si
j’aime tout ce gris. Mais il me
fascine. Je ne sais pas si j’aime toutes
ces journées mi-figue, mi-raisin. Elles
ont un goût tendre. Singulier.
Du gris se
construit la petite musique de la mélancolie où les autres teintes, même les
plus sombres, celles que nous ne remarquerions jamais, deviennent presqu’éclatantes. Les verts des grands parcs, épars dans la
ville. Le vert des mousses enlaçant les
arbres. Tous les feuillages de tous les
buissons. Les pierres des maisons et des
façades, du rouge rouille, au marron, au blanc cassé. Les quelques fleurs d’hiver, les roses toutes
de roses et de jaunes, gracilement fânées.
Comme en attente.
Quand nous sommes
en manque de quelque chose, de quelqu’un, de soleils, de baisers, de chaleur,
de pain, de vin, d’espoir, de calme, de paix, la couleur des choses se modifie.
Le sourire d’une boulangère peut devenir
le moment de la journée. La main d’un
enfant glissé dans la paume de son père, un nouveau repère. Le téléphone de l’amie de 17 heures, une
réconciliation.
Peut-être est-ce le
manque qui nourrit le regard du bonheur ?
Bruxelles est
peut-être une ville en attente ?
Peut-être est-ce la
lumière qui crée le voyage ?
La Cigale
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