jeudi 7 février 2013

Un poisson nommé Jardin

Chère I.

Lettre 12


«L'avantage d'être intelligent, c'est qu'on peut toujours faire l'imbécile, alors que l'inverse est totalement impossible.»
 

Woody Allen  



Non.  Ce n'était pas juste.  Il ne pouvait y avoir, dans ce monde, des hommes comme Dujardin.  Comme Jean Dujardin.  Cela ne laissait aucune chance aux autres.  Aucune chance à Paul.  Le seul espoir c'est que peut-être cela ne laisserait aucune chance à G. Qu'enfin G. pourrait être déclassé au tableau de chasse des mâles plus dominants que dominés.   Dans la cour des coqs en bataille.  Dans l'arène de la testostérone pure et dure. Paul pouvait être assuré que Mister Dujardin ne souffrait d'aucune andropause.  Que sa prostate était un bijoux d'efficacité, un bijoux de famille à la mécanique sur-huilée.  Que ses poils étaient bien drus et bien pensants.  Que Dujardin n'avait de jardin que le nom.  Tout le reste en sex-appeal destructeur, le regard exactement dans le bon biais, le sourire plein de dents, la barbe courte et piquante sur les joues.  Jean Dujardin est un bulldozer. 


Paul quant à lui n'est qu'un couillon.

Un couillon nommé mollasson.

Pourquoi Paul n'avait-il jamais songé à faire de son chien complètement névrosé un animal thérapeutique?  

Peut-être était-ce la relation qui clochait entre son chien et lui.  Peut-être était-il celui qui cherchait les puces à son chien.  Peut-être était-ce ses paroles à lui, ses gestes qui provoquaient les crises d'hystérie du chien. Peut-être qu'en dehors de cette fusion pathologique, le chien donnerait enfin le meilleur de lui-même.  S'il en était capable...

Peut-être un autre lui permettrait-il de servir à quelque chose de bien, de constructif, de pédagogique?

Et devant le look de requin de Dujardin, même les poissons rouges de Paul devenaient blêmes.  Qu'à cela ne tienne, il ne pouvait les laisser dans des eaux aussi glauques.  Il  les amena faire un tour où des poissons, des vrais, bien gluants, bien puants, il y en avait plein les étals étalés des pêcheurs de la Méditerranée.  Des poissons, qui à défaut d'être séduisants et fatals, avaient l'avantage immense d'être délicieux et intelligents sous leurs airs de rien du tout.



Des poissons qui avaient fréquenté les meilleures femmes-sirènes, les plus belles calanques de Marseille.  Avaient folâtré entre les anses de Maldormé et celle De Malmousque.  De l'anse Batterie de Lions au Rocher Des Pendus.  De la rade d'Endoume à la plage du Prophète. De la porte de l'Orient, au jardin du Pharo, au Fort St-Jean, à l'archipel du Frioul, à l'avenue de la Canebière.



  Des poissons bigarrés, salaces, à la chair fraîche en bouillabaisse de premier choix.




Des poissons bien centrés, bien «zen», capable de profiter du moment présent.  Des poissons sans envie de la vie des autres, sans jalousie de G.  Des poissons sans angoisse de performance, d'anxiété d'appréhension, sans scénario catastrophe, sans phobie des araignées et des ascenseurs, sans compulsions de nettoyage. Des poissons sans trouble anxio-dépressif situationnel.  Des poissons sans insomnie.

Des poissons lumineux et bien dans leurs baskets.  En paix avec leur histoire et leurs erreurs et leurs limites et leurs forces.  Des poissons qui ne lisent jamais la revue PSYCHOLOGIE.  Des poissons qui ne vont pas au cinéma ou au théâtre ou en terrasse.  Des poissons qui n'ont besoin de rien.  De presque rien.

Des poissons qui avaient admiré avec attention et reconnaissance la beauté du Fort Saint-Jean et du Vieux Port de Marseille.







Des poissons bienveillants et doux avec eux-mêmes et avec autrui, se félicitant plutôt que se dénigrant.  Avec justesse, humilité, distance et humour.  Sans se prendre au sérieux.  Poissons parmi tant d'autres poissons.

Des poissons tout simplement heureux qui ne faisaient l'imbécile qu'à temps perdu

La Cigale

ps: Est-ce que tu crois que Paul aura une chance de s'en sortir?






 

 


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