samedi 2 février 2013

Bleu-pomme-vert-mer

Chère I.

Lettre 10

«J'adore parler de rien c'est le seul domaine où j'ai de vagues connaissances.»

Oscar Wilde  1836-1901





On dit souvent qu'une image vaut mille mots. Alors Paul se demande bien pourquoi il y a tant de mots.  Et aussi trop d'images.  Il est 17 heures 14 minutes à sa montre, celle donnée autrefois par Helena à l'occasion de son 49ème anniversaire.  Paul passe la main droite sur sa tempe pulsatile, névralgique, céphalique, bruissante.

Boum BOUM BOUMBOUMMMMM!!!!

Un mal de tête ou de tempe. Un mal des deux.  Du tonnerre.  Énorme.  Gigantesque.  Un mal de tout.   La douleur qui s'insinue lentement et assurément. La sueur sous les aisselles camouflées dans son sarrau blanc.  Son sarrau mis à mal.  Quelques taches d'encre par-là, quelques frissons par-ci.  Tout sauf empesé, propre, droit, plus blanc que blanc, comme celui de son père.  Docteur son père.  Tiens. 

Devenir Docteur, ça vient comme des vagues dans la famille de Paul, une génération oui, une génération peut-être, une non-génération.  Des vagues vagues comme il a dans la tête, sur les tempes, dans ses neurotransmetteurs délicats et ombiliqués.  Les pauvres neurotransmetteurs de Paul qui semblent en vague désespoir et en tsunami de fatigue.

Les nuits sont blanches.
Les cernes sont bleues.
Les pommettes sont pommes.
Les tempes sont vertes.
Les rêves sont mer.



Paul jette un regard furtif sur sa la liste de patients encore à voir de sa clinique de ce lundi après-midi 17 heures 16 minutes.  La semaine sera.  Et c'est déjà trop pour Paul. Trop.  Comme les encore quatre dernières patientes à venir.  Des femmes. 
 
Gynécologue.  Paul est gynécologue, tiens.  Pas comme son père cette fois. 

Pourtant, Paul adore les femmes.  La sienne surtout.  Ce qu'elles ont de savoir exister.  Dans la frange mystérieuse des choses bruissantes du monde silencieux.  Sans parole, sans image, sans vague.   Du plus profond des mystères de la vie de la mort de l'océan entier.



Il y a les Françoise Dolto.  Les Françoise Giroud, Françoise Hardy, Françoise Sagan.  Il y a les Marguerite et les Simone.



Il y a les Claire, les Clara, les Carla, les Julie et les Nadine et les Katerine et les Maries, mère de Dieu, mères en général, mère de chair, mère d'os et de rouilles et de brouillards et surtout d'espoir.  Il y a toutes ces mères de mer.  La sienne.  Sa mère.
Puis Helena.
Helena...

Mais cet après-midi, les femmes le tuent.  À grands coups d'au-secours, ma vaginite est tellement chronique docteur que mon mari est partie chercher des cigarettes avec la voisine et ma vestibulite se lichénifie, ce qui n'est certainement pas de bonne augure, et ma ménopause me liquéfie malgré mon apnée à grappes rouges et mon trèfle noir et mes phyto machins en granules biologiques et mon ado veut faire l'amour avec le petit voisin de pallier qui ressemble à un pois séché et elle sera traumatisée par ses premières expériences et elle ne pourra jamais avoir d'enfants et donc je ne serai jamais grand-mère et donc je vais me suicider....

Paul commence même à avoir un vague mal de coeur, une nausée impossible à définir, un certain recul stratégique.  Il est 17 heures 32 minutes.  Paul rêve, entre deux sexes de femmes, à la beauté des fins de journées sur l'écran de la mer.

   

La Cigale

ps:  Tu sais qu'en Flamand quand on veut acheter de la peinture turquoise pour sa salle de bain, on demande du -appelblauwzeegroen- ce qui veut littéralement dire -bleu-pomme-vert-mer-

pps: Est-ce que tu aimes ce chapeau turquoise?




1 commentaire:

  1. Oui je l'aime ce chapeau. En fait, tu sais moi tous les chapeaux me vont bien. Les tuques, les bérets, les bibis, les casquettes, le bob,le bonnet d'Armor...le canotier, même la chapka
    bon on a compris...

    J'aime aussi les apports médicaux dans les lettres. Ce n'est pas trop, mais juste assez...Est-ce un apport conscient ? Ça marche.

    Puis souvent je vois la lumière du jour ou du soir dans les lettres. Je ne sais pas si c'est parce qu'elles sont décrites ou bien à cause des photos qui me font imaginer...

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