jeudi 7 mars 2013

Si Dieu le veut (fin)

Chère I.

Lettre 17

 «-Un dromadaire! dit Tintin
   -Un dromadaire?... Mais il n'y a pas de dromadaire en Espagne... répond le capitaine Haddock
   -Nous ne sommes pas en Espagne , hélas!... Nous sommes en plein Sahara!....
   -En plein Sahara!  Mais cet animal... cet animal est mort de... mort de ....
   -... mort de soif, naturellement!»

Le Crabe aux Pinces d'Or, Les Aventures de Tintin, 1958

«Le premier thé est amer comme la vie, le second fort comme l'amour, le troisième suave comme la mort»

Proverbe arabe






Jaune-le Sahara est jaune

On traverse le  Sahara comme on traverse son propre désert.  Comme on dit la traversée du désert.
Et la plupart des hommes bleus se satisfont de quelques pôles fondamentaux: la poésie, la chance et le goût de l'autre, la médiation et la compassion, pour le traverser sans trop de faim, de soif, de chaleur ou d'abattement.  Sans trop de heurt pour eux ou pour les autres, pour les autres habitants de ce désert.

Le Sable
Le Vent

Le Soleil
La Lune
Le Jour
La Nuit

Et les Dromadaires




La grâce de la traversée de ce désert ne semble pas être donnée à tous. 

Très certainement, Bachir, le guide Marocain de Paul en était-il rempli aux as.

Très certainement, Paul, le guide de personne, n'en avait pas la moindre parcelle.  Ni la moindre idée.

On the road!

Cela avait commencé sur la route, musique à fond la caisse, 4 X 4 blanc et robuste, kilomètre après kilomètre, suite des gorges du Dadès et du Todra, Vallée des Roses, Tinghir, Tazarine, bivouac et dunes de Chegaga.






Bachir demeurait sans cesse cet homme bleu, ce berbère citadin au visage anguleux, toujours élégant, humble, professionnel, drôle et intelligent.  Devant lui, Paul se sentait des affinités de frère qu'il n'avait jamais eu et admirait ce tout jeune homme et sa force tranquille.  Partageait encore avec lui l'amour de la musique.  Et l'amour trop romantique des femmes. Des Gazelles.  Avec deux ailes.

Plus cool que Bachir, cela ne pouvait pas exister.

Paul était bien certain que des somnifères, lui, il n'en prenait jamais.  Comme il ne prenait jamais d'alcool ou de cigarettes ou de café.  Comme il mangeait si peu et buvait avec parcimonie.  En guise de solidarité.

En guise de solidarité pour ceux qui n'ont pas beaucoup.  Qui doivent compter pour survivre.  Pour ceux qui sont pauvres d'eau, de nourriture, de tout.

Bachir vit dans le respect constant de ce que crée la solidarité du désert.

Et de la poésie.


- L'Homme, c'est pas grand chose, tu sais, docteur Paul.  Juste un bien petit grain de sable dans l'ensemble de l'oeuvre. Sans dromadaire, sans eau, sans ombre et sans puit, baaaah, il n'en reste pas grand chose, mon vieux.  Alors, toutes vos pirouettes pour vous montrer à votre meilleur, pfffffffff, c'est pas mal des conneries ici dans notre désert.

-Bachir, je suis désolé de voir que tout ce que j'ai appris chez moi ne sert pas à grand chose ici.  Et que je ne peux t'aider en rien, dit Paul.

-Baaaah! Justement docteur Paul, j'aurais tout de même besoin de toi, si tu peux.  Mon vieux père est malade depuis cinq jours et à la maison, à Mamhid, nous nous inquiétons.

Après un long voyage en caravane de dromadaires et quelques nuits sous bivouac, Paul et Bachir arrivent à Mamhid pour ausculter le vieux père.





-Tombouctou!  J'ai fait le long voyage vers Tombouctou, Monsieur le docteur et ça, plusieurs fois.  Trois mois de dromadaire.  L'oeil toujours en alerte pour déjouer les mécréants du désert, ne pas se perdre, attendre que passe la tempête de sable.  C'est comme ça qu'on fait les hommes chez nous!  me traduisit Bachir.


Le vieux père a une infection pulmonaire.  Paul lui prescrit des antibiotiques et des pompes. Et il se dit que, tout de même, docteur c'était un métier extraordinaire.  Qu'il avait une chance incroyable de pouvoir, lui, le pauvre toubib si paumé, se sentir toujours utile, solidaire lui aussi, pas comme les hommes du désert, mais solidaire tout de même, de tous ceux qui ne sont rien, ou si peu, comme lui, dans le vaste monde de cette vie qui est là.  Maintenant.

Bachir a un regard d'une tendresse infinie pour son vieux père.  Un amour en respect et en admiration.  Il glisse ses deux mains sur le visage de son père et embrasse le chach blanc qui lui entoure la tête.  En fermant son poing, sa main droite vient se déposer sur son thorax à l'endroit du coeur, pour un au-revoir à l'homme du désert que fût son père.

Paul repense à tous ces pauvres vieux chez lui qui ne sont plus rien.  Qui n'ont l'admiration de personne.  Qui ont pourtant, à leur façon, traversé leur propre désert.  Il repense à la façon que nous avons de les oublier.  De ne pas les reconnaître.  De les exclure de la vie.

-Chagrin-

Bachir et Paul saluent une dernière fois le père et reprennent le chemin des dunes et des dromadaires, petits et grands.





Le soir est tombé sur les dunes de Chegaga.  Les hommes se sont partagé un thé noir. Un couscous de sept légumes.  Une orange.  Un feu. Une chanson.

La nuit approche dans l'étourdissant silence du désert.  Il n'y a rien.  Et Paul, pour la toute première fois depuis si longtemps, se sent bien.  Se sent tombé de fatigue.

-Bachir, est-ce que tu crois que j'arriverai vraiment à ne plus prendre mes somnifères?

-Incha'Allah, répond Bachir en souriant à Paul.

-Oui, si Dieu le veut, se dit Paul en fermant doucement les yeux dans le très grand silence du Sahara...

La Cigazelle

Ps: Et toi, qui est ton guide?

Pps: Crois-tu que Paul a bien dormi sous son bivouac sans ses somnifères?





























 

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