mercredi 8 mai 2013

Comme une chanson!

Chère I.

Lettre 29

Aimer les rires et les pleurs/Aimer le jour, aimer la nuit/Aimer le soleil et la pluie/Aimer l'hiver, aimer le vent/ Aimer le villes et les champs/Aimer la mer, aimer le feu/Aimer la terre pour être heureux. 
Les Demoiselles de Rochefort, Un film de Jacques Demy, 1967


«Dites trente-trois trois fois.»
«Trente-trois trois fois.»
«Non, non, Trente-trois, Trois, Fois!»
«Trente-trois, Trois, Fois!»
«... »
«Ah! Docteur, vous voulez dire, trente-trois, trente-trois, trente-trois!»
«Voilà! Bravo! Alors, allons-y!»
«Trentrois/ troisfois/ trente et trois/ trois/ trois...» chantonne la patiente dans le bureau gris de Paul.
Paul hausse les deux sourcils en accent circonflexe, stéthoscope au cou, en ce plat lundi où une patiente un peu timbrée lui chante «trente-trois trois fois» en triolets majeurs  dans les tympans droit et gauche, en petite culotte de dentelle blanche. 
«On aura tout vu!» lui dirait sans doute le chien Scopello (il faut avoir lu le blog sicilien :),  sa tête penchée sur le côté, l'oreille droite à moitié pliée.
Nul chien à la clinique gynécologique du Vieux Aix pour commenter les vocalises des patientes, Delphine ou Solange, blondes ou brunes.
En robe rouge ou jaune.
Avec ou sans chapeaux.

«Parfois, je me dis que tes lecteurs préfèrent définitivement les chiens de tes histoires à ton personnage...» commente l'auteure, un peu découragée.
«Bon, ouais, t'as peut-être raison, mais un chien, comment veux-tu que j'en ai un dans cette clinique gynécologique aseptisée et pleine de spéculums en fer blanc, froids et frigides?»
«Ben, débrouille-toi à la fin, Paul! Moi, je ne peux tout de même pas TOUT faire pour toi! Essaie d'avoir un peu d'imagination quoi! » lui dit-elle, agacée soudain


La partie supérieure du speculum, reposant sur la table d'examen de Paul avec ses faux-airs de museau de chien, glisse sur la partie inférieure.  Le cliquetis de l'instrument résonne dans tout le bureau.  Paul se gratte la tempe droite.  Glisse son pied droit sur son pied gauche, frottant sa voûte supérieure.  Le speculum s'emballe.  «Clic-clic-clic-clic-clic-clic-clic-clic-clic.» Solange, la patiente en culotte blanche,  demeure coite, bouche entr'ouverte, sa chansonnette en suspens.
« Ah! / Que j'en ai marre/marre/marre/marre/marre/ d'être un speculum/ lum/ lum/ lum/ lum/ Pris dans la mare/ mare/ mare/ mare/ mare/ des jeunes filles en Boum/ Boum/ Boum/ Boum/ Boum...» chantonne cette fois le speculum.

«Mais c'est quoi ce bordel à la fin!» pense Paul, se prenant la tête entre les mains.
«Là, franchement, je commence à en avoir plus que marre d'être TON  personnage et d'endurer toutes TES lubies!  Tu ne prends jamais en considération MA propre sensibilité, MES véritables besoins, MON côté vraiment tendre et engagé.  Tu ne sais pas m'écouter!  Et je passe pour qui, moi, devant tous ces gens que je ne connais même pas! Par chance qu'il n'a aucun succès ton Blog, ma chère, il n'y a pas trop de lecteurs pour me trouver complètement désolant.... » reproche t-il à son auteure, tranchant.
«Écoute Paul, on ne va pas commencer à s'engueuler devant tout le monde, en public.  On règlera ça entre-nous plus tard, veux-tu.... En attendant, serre les dents et essaie de trouver le côté positif de ta situation.  Je te dirais tout de même que d'être auprès de la très jolie Solange en culotte de dentelle, chantonnant en dansant dans ton lundi gris, pendant que ton speculum se vide le coeur, il y en a plus d'un, de docteurs, qui l'envierait ton pauuuuuuvre sort...» lui répond son auteure, franchement excédée.

«Et moi/et moi/et moi/ tu m'as déjà oublié/ et moi/et moi/ et moi/ je ne suis pas en papier/ et moi/et moi/et moi/ un instrument du ferblantier/ qu'on malmène sans égard/ que les femmes détestent sans un regard...» continue de chanter le speculum, sérieusement déprimé.
On frappe à la porte. «Toc-toc-toc!» «Docteur! docteur! c'est la soeur de votre patiente qui tient absolument à vous rencontrer...  elle a une très charmante voix...» lui souffle sa gentille et dévouée secrétaire.
Le speculum se referme comme une huître «Clap!» intimidé par tout ce brouhaha.


Devant Paul, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, assis sans bouger dans son fauteuil ergonomique de cuir marron foncé, Solange et Delphine dansent et chantent, leurs grands chapeaux sur la tête.
«Delphiiine/ ma chériiie/mais que fais-tu iciii/» chantonne Solange, de nouveau dans sa robe jaune.
«Je suis venue/ pour te dire de ne pas oublier/ que l'amour est plus fort que tout/ que la joie c'est un peu fou/ et que c'est aussi un peu toi/» chante Delphine, tout de rose vêtue.


Le gris du matin cède sa place à la très belle lumière de cette avant-midi de mai,  traversant les carreaux de la grande fenêtre du bureau de Paul.  Solange et Delphine tendent la main droite à monsieur le speculum, la main gauche à monsieur le docteur Paul, entraîné bien malgré lui dans la ritournelle des soeurs jumelles, soudainement vêtues de magnifiques robes de soirée de paillettes rouges et de longs gants de velours assortis.


«Mi-fa-sol-la-mi-ré/ ré-mi-fa-sol-sol-sol-ré-do» chante Solange.
«Mi-fa-sol-la-mi-ré/ ré-mi-fa-sol-sol-sol-ré-do» chante Delphine.
«Mi-fa-sol-la-mi-ré/ ré-mi-fa-sol-sol-sol-ré-do» chante le speculum, enjoué.
«Mi-fa-sol-la-mi-ré/ ré-mi-fa-sol-sol-sol-ré-do/Tu avais peut-être raison au final/ mon sort n'est peut-être pas si minable/Mi-fa-sol-la-mi-ré/ ré-mi-fa-sol-sol-sol-ré-do» chante Paul dans ce véritable moment de joie, tout à coup reconnaissant.
À la vie.
À son métier.
À son speculum.
À Jacques Demy.
À ses talentueuses patientes.
Et tout de même un peu, à son auteure, ravie... 

La Cigale

Ps: Cours vite regarder à nouveau ce fantastique film culte!!!!!















  



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